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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/679

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également le corps et l’âme comme une couple de chevaux attachés au même timon, que l’enfant ne die pas seulement sa leçon, mais qu’il la fasse, que le précepteur ne se contente pas de pilloter la science dans les livres et de la loger au bout de ses lèvres pour la dégorger et mettre au vent. « Nous prenons en garde les opinions et le savoir d’autrui, et puis c’est tout ; il faut les faire nôtres. Que nous sert-il d’avoir la panse pleine de viande, si elle ne se digère, si elle ne se transforme en nous, si elle ne nous augmente et fortifie ? .. il ne faut pas attacher le savoir à l’âme, il l’y faut incorporer ; il ne l’en faut pas arroser, il l’en faut teindre. » A l’exemple de Montaigne, Mme de Genlis n’aime guère cette éducation livresque qui ne laisse que des mots dans l’âme des enfans, tandis que les faits y font naître des idées et gravent des souvenirs ineffaçables. Ils ne retiennent bien, pense-t-elle, que ce qu’ils ont appris avec plaisir ; donc il faut cacher les préceptes sous des couleurs séduisantes, leur rendre l’étude aimable, en ôter les épines inutiles ; de là ses livres d’éducation. Bossuet n’a-t-il pas composé des abrégés, Fénelon des dialogues et Télémaque pour son élève, Mme de Maintenon des conversations pour Saint-Cyr, La Motte des sommaires historiques ? Point de rêveries, ni de paradoxes dans le goût de Duclos ou de Galiani, qui voit dans l’éducation un instinct et un effet du hasard ; surtout pas de système absolu ; l’éducation ne donne beaucoup qu’à ceux qui sont nés riches, elle corrige, développe, perfectionne, elle ne crée point ; seconder les dispositions naturelles, ne point prétendre les forcer, voilà ce qui importe avant tout.

« Mme de Genlis, écrit Mme d’Oberkirch, est fort belle, fort spirituelle, un peu pédante aussi ; c’est une Mme Necker élégante. Je ne sais qui l’a représentée en caricature, armée d’un bâton de sucre et d’une férule ; c’est absolument la vérité, » voilà l’impression frivole des gens du bel air. A un autre pôle, Sainte-Beuve signale un défaut grave qu’on va reconnaître dans cette éducation trop touffue, trop réaliste : l’absence du sentiment de l’antiquité, du génie moral et littéraire qui en fait l’honneur, de l’idéal élevé qu’il suppose. Rien de plus certain, mais le progrès accompli était déjà très grand, et l’essentiel obtenu.

Chaque matin, les princes levés à sept heures, au Palais-Royal, prennent, avec l’abbé Guyot, leur leçon de latin, d’instruction religieuse, avec M. Lebrun celle de calcul ; puis on les amène à Belle-Chasse à onze heures, et Mme de Genlis se charge d’eux jusqu’à neuf heures du soir. M. Lebrun rédige un journal détaillé de leur existence, le remet à la gouvernante qui en marge inscrit ses observations ; elle a aussi un journal particulier qu’elle lit et fait signer