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poignée, travaillaient à n’être qu’une pincée, dont la seule conduite justifie la révolution modérée, explique la révolution violente. Peut-être toutefois eût-elle pu citer certaine lettre qu’elle adressa au duc de Chartres le 8 mars 1796, de Silk en Holstein : ne sachant où il se trouvait, elle l’avait publiée, et ayant entendu dire qu’il avait en France, à l’étranger, des amis qui voulaient le mettre sur le trône, elle l’en dissuadait d’une façon assez étrange. « Vous, prétendre à la royauté ! devenir usurpateur pour abolir une république que vous avez reconnue, que vous avez chérie, et pour laquelle vous avez combattu vaillamment ! Et dans quel moment ! Quand la France s’organise, quand le gouvernement s’établit, quand il paraît se fonder sur les bases de la morale et de la justice ! .. D’ailleurs, quand vous pourriez légalement et raisonnablement prétendre au trône, je vous y verrais monter avec peine, parce que vous n’avez, à l’exception du courage et de la probité, ni les talens, ni les qualités nécessaires dans ce rang. Vous avez de l’instruction, des lumières et mille vertus ; chaque état demande des qualités particulières, et vous n’avez point celles qui font les grands rois. Vous êtes fait par vos goûts et par votre caractère pour la vie sédentaire et privée, pour offrir le touchant exemple de toutes les vertus domestiques, et non pour représenter avec éclat, pour agir avec une activité constante, et pour gouverner un grand empire. « Il est vrai qu’à ce même moment elle sollicitait son rappel en France ; mais on comprend qu’une pareille épître ait contribué à refroidir le duc de Chartres envers celle qu’il avait si longtemps appelée : ma mère.

En revenant d’Angleterre, où les hommes les plus éminens, Fox, Sheridan, Castlereagh, lui avaient fait fête, Mme de Genlis, après un court séjour à Paris, partit avec Mlle d’Orléans pour la Suisse, où elles séjournèrent jusqu’au-milieu de 1794, tantôt dans un asile, tantôt dans un autre. Lorsque Mademoiselle dut la quitter pour aller retrouver sa tante, la princesse de Conti, elle continue la rude vie d’émigrée, à Altona, Hambourg, Berlin, en Danemark, vivant à l’auberge, chez des amis, écrivant, donnant des leçons pour vivre. A Berlin, les pointus l’ayant peinte sous les plus noires couleurs au roi, celui-ci déclare qu’il ne l’exclura jamais de sa bibliothèque, mais qu’il ne la souffrira point dans ses États, et, séance tenante, il la fait conduire jusqu’à la frontière par un agent de police : son successeur se montra plus libéral et l’autorisa à revenir. Un émigré, son voisin d’appartement, coupe en petits morceaux deux belles jacinthes qu’elle avait posées pendant la nuit sur le palier de l’escalier commun : elle achète d’autres fleurs, et colle sur le vase une bande de papier avec ces mots : « Déchirez, si