n’était pas partie au procès et se réservait sa liberté de jugement et d’action, pouvait jouer le rôle d’arbitre, s’interposer entre les contendans ou les compétiteurs. Désormais il n’y aura plus de neutres, plus d’arbitres désintéressés ; les accusés se trouveront en présence de juges prévenus, partiaux et passionnés. De quoi qu’il s’agît, quiconque n’est pas un des directeurs ou des cliens du Sonderbund serait condamné d’avance, une partie de l’Europe serait mise hors la loi, et voilà ce que l’anonyme entend par une politique de paix et d’équité.
Et pourtant quels aveux n’est-il pas obligé de faire ! Il convient que si deux des alliés se sont appliqués jusqu’ici à prévenir les incidens, il en est un tout au moins qui plus d’une fois a paru s’étudier à les faire naître. Le roi d’Italie, pour qui la triple alliance est un de ces articles de foi qu’il n’est pas permis de discuter, y a vu sans doute une sûreté de plus pour sa couronne et une garantie contre les revendications du saint-siège ; mais tel de ses ministres a considéré cette soi-disant société d’assurance comme une société de placemens et d’entreprises lucratives. Dans le conseil où siégeaient Ulysse et Nestor on a vu paraître un bouillant Achille, qui ne discourait jamais sans porter la main à la garde de son épée. L’anonyme le qualifie « de personnalité turbulente. » Mais qui pourrait blâmer M. Crispi ? N’avait-il pas raison de préférer de belles aventures à la continuation indéfinie d’une paix armée qui devait fatalement ruiner son pays ?
Sa façon de penser était si naturelle que son successeur, M. di Rudini, s’est écrié un jour à la tribune : « Mieux vaut mourir les armes à la main que périr d’anémie ! » L’anonyme convient de tout cela. « Il n’était pas besoin, nous dit-il, d’être du nombre des initiés pour apprendre des amis et des partisans du premier ministre d’Italie que dans l’hiver 1888-1889 on se sentait déjà à bout de voie, que la tension produite par les armemens était devenue intolérable et que le mal qu’on craignait valait mieux que la peur du mal. On tenta alors d’enfler, de grossir les incidens, de donner à de petits conflits d’intérêts les proportions de grands événemens et d’obliger la France à jouer ses atouts. Si ces tentatives ont échoué, les gens bien informés savent que le péril fut conjuré par un tiers, dont il est superflu de dire le nom. Les explosions de dépit qui se produisirent dans la presse italienne et dans les cercles politiques en font foi. » Aujourd’hui M. Crispi n’est qu’à moitié ministre ; demain peut-être il le sera tout à fait, et le tiers n’est plus là, ce qui n’empêche pas l’anonyme de déclarer que la triple et sainte alliance est non-seulement utile, mais nécessaire à la paix de l’Europe.
Elle a été renouvelée avant l’échéance, et l’Europe n’a pu en ignorer : cet événement diplomatique lui a été annoncé à grand renfort de trompettes. « — Vous êtes des maladroits, ont dit à ce sujet les pamphlétaires bismarckiens, et vous avez tort de faire tant de bruit. Vous avez