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« terrain constitutionnel. » Tant qu’elle l’a pu, cette « union chrétienne » s’est diplomatiquement réservée. Elle a éludé et l’encyclique et les lettres pontificales. Elle louvoyait, lorsque, dans une réunion récente, elle a reçu du Vatican l’injonction d’avoir à se soumettre à la direction du saint-père. Elle s’est soumise sans enthousiasme, — ou plutôt du coup elle s’est dissoute, elle a disparu ! La scission entre les catholiques s’est trouvée accomplie. Les uns, M. Chesnelong, M. Keller, se sont retirés sans rien dire ; les autres, M. Albert de Mun et quelques-uns de ses amis, ont suivi simplement le mot d’ordre du Vatican. Il n’y a que quelques jours, dans une réunion, à Grenoble, M. de Mun, un des chefs du parti catholique de la Savoie, M. Descottes, n’ont point hésité à se rallier aux institutions « que le pays s’est données. »

On en est là. Le dernier mot de l’évolution n’est certainement pas dit encore. Sans doute, à y regarder de près, rigoureusement, il y aurait à faire quelque réserve sur cette intervention du chef de l’Église dans les affaires intérieures du pays, dans les luttes intestines des partis : le principe pourrait mener loin ! Aux heures troublées où nous vivons, si l’acte pontifical semble un peu extraordinaire, c’est que les circonstances elles-mêmes sont extraordinaires, c’est que Léon XIII a vu tout à la fois et le danger de laisser les intérêts religieux se confondre avec des intérêts de dynastie et la nécessité supérieure de contribuer pour sa part à la pacification morale de la France. Cette intervention est un gage de paix dans la confusion des partis. Eh bien ! est-ce que la république aurait intérêt à répondre par de l’hostilité et des vexations à des paroles de paix, à s’immobiliser elle-même dans les fanatismes de secte, à méconnaître que, si les anciens partis passent ou se transforment, les instincts conservateurs restent toujours vivaces et puissans dans le pays ? Est-ce qu’elle n’est pas la première intéressée à ménager ces sentimens conservateurs prêts à se rallier, à s’assurer l’appui de toutes les forces morales dans la lutte qu’elle a aujourd’hui à soutenir contre ce péril anarchiste qui menace à la fois la paix intérieure, la république et la patrie ?

Comme il arrive souvent, quand il n’y a pas d’affaires sérieuses en Europe, on se plaît à créer des affaires de fantaisie. On se fait un jeu de rassembler des nuages, d’exagérer ou de dénaturer le moindre incident, d’irriter les susceptibilités internationales. Assurément, à l’heure qu’il est, il n’y a aucune apparence de conflit ou de complication prochaine. Il y a à Copenhague quelques souverains et des représentans de souverains célébrant les pacifiques noces d’or du vieux roi Christian qui a donné des princesses à tous les trônes. Il y a entre la France et l’Espagne un commencement de réconciliation commerciale. Tout est à la paix. — Qu’à cela ne tienne : s’il n’y a pas de points noirs, on en créera ! Les journaux allemands ont particulièrement l’imagination fertile, agressive et acrimonieuse. Ils viennent de le prouver encore