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ce qu’on fait il y a une trop visible timidité, que ces mesures, ces lois prétendues préservatrices, ne sont que de médiocres palliatifs. Le vrai et unique remède serait de regarder la situation en face, d’attaquer l’anarchie morale dans ses sources, de porter résolument dans la politique une inspiration nouvelle, un esprit nouveau. Or voilà la difficulté ! Ce qu’il y a d’étrange, en effet, c’est que bien des républicains, émus du danger, mais encore plus dominés par l’esprit de parti, en sont toujours à vouloir et à ne pas vouloir, à flotter entre le désir de défendre la société menacée et la crainte de se compromettre. Ils voient le mal grandir, et ils ne peuvent pas se décider à avouer que ce mal s’est préparé sous leur règne, sous leur influence, par l’éternelle tactique des concessions au radicalisme. Ils prétendent rester ce qu’ils sont : passionnés, étroits, exclusifs à l’égard de tout ce qui n’est pas de la secte.

Eh bien ! non, tant qu’on en sera là, on ne fera rien de sérieux, d’efficace. On ne réussira à se dégager d’une crise réelle qu’en s’appuyant sur tous les instincts conservateurs, en ouvrant largement, libéralement la république au lieu de traiter tous les dissidens en ennemis, en opposant à la conspiration de l’anarchisme et du socialisme révolutionnaire l’alliance de toutes les bonnes volontés. Et quel moment d’ailleurs choisirait-on pour s’obstiner dans les exclusions, dans les divisions, dans un fanatisme jaloux et stérile ? On choisirait justement l’heure où s’accomplit dans le monde conservateur et religieux, sous les auspices du souverain pontife lui-même, cette évolution dont l’inévitable résultat est de diminuer ou d’émousser les hostilités, de créer à la république une situation plus aisée et plus libre.

Certes, si dans l’ensemble des affaires du temps il y a un phénomène curieux, c’est bien en effet ce travail qui tend à une sorte de transformation des partis par la rupture de l’alliance traditionnelle entre les intérêts catholiques et les intérêts monarchiques ; c’est ce mouvement qui commençait il y a deux ans par le toast retentissant de M. le cardinal Lavigerie, qui a été continué depuis avec autant d’art que de fermeté par l’encyclique, par les lettres du pape lui-même, et qui vient d’avoir ce qu’on pourrait appeler sa crise décisive par la dissolution de « l’union de la France chrétienne. » Qu’était-ce donc que cette « union de la France chrétienne, » fondée sous la direction de M. le cardinal archevêque de Paris ? On ne peut plus guère s’y tromper : c’était une association de défense religieuse sans doute, mais avec une arrière-pensée politique. Elle avait pour objet, c’est évident, de maintenir le lien entre les partis monarchistes et le parti catholique, de confondre l’action de ces deux forces. En cela, elle était visiblement un acte de résistance plus ou moins déguisée à l’inspiration du pape qui ne cessait de conseiller aux catholiques de France d’accepter sans subterfuge la république, de se placer sur le