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légaux ne seront jamais si efficaces qu’autrefois ; aucun gouvernement n’entreprendra, comme Napoléon, de fermer à la fois toutes les issues à la pensée écrite ; il restera toujours des passages à peu près libres. Même pendant les années rigoureuses de la Restauration et du second Empire, l’étouffement sera moindre, les bouches pourront s’ouvrir, et il y aura moyen de parler, au moins par les livres, et aussi par la presse, à condition d’y parler avec discrétion et mesure, en termes froids et généraux, d’un ton uni, en baissant la voix. De ce côté, la machine impériale, trop blessante, s’est promptement détraquée ; tout de suite, le bras de fer par lequel elle tenait les adultes a paru insupportable aux adultes ; ils l’ont de plus en plus infléchi, écarté ou cassé ; aujourd’hui, il n’en reste que des débris ; depuis vingt ans il n’opère plus ; ses morceaux même sont hors d’usage. — Au contraire, de l’autre côté, sur le second groupe, sur les enfans, les adolescens, les jeunes gens, le second bras, intact jusqu’en 1850, puis écourté, mais bientôt renforcé, plus énergique et plus agissant que jamais, a gardé presque toutes ses prises.

Sans doute, à partir de 1814, son mécanisme est moins rigide, son application moins stricte, son emploi moins universel, sa manœuvre moins dure ; il froisse moins les âmes, et il n’en froisse pas autant. Par exemple, dès la première Restauration[1], le décret de 1811 contre les petits séminaires est rapporté ; ils sont restitués aux évêques, reprennent leur caractère ecclésiastique, rentrent dans la voie spéciale et normale hors de laquelle Napoléon, par contrainte, les faisait marcher. Presque aussitôt, le tambour, l’exercice et les autres pratiques trop manifestement napoléoniennes disparaissent dans les établissemens privés et publics d’instruction moyenne ; le régime scolaire cesse d’être un apprentissage militaire, et le collège n’est plus l’annexe préparatoire de la caserne. Un peu plus tard et pendant plusieurs années, dans des chaires de l’État, à la Sorbonne, M. Guizot, M. Cousin, M. Villemain, professent, en toute liberté, avec éclat, devant une foule attentive et passionnée, sur les plus hautes questions de philosophie, de littérature et d’histoire. Ensuite sous la monarchie de Juillet, l’Institut, mutilé par le premier consul, se répare, se complète, et retrouve dans l’Académie des sciences morales et politiques la classe suspecte qui, depuis le consulat, lui manquait. En 1833, un ministre, M. Guizot, pourvoit, par une loi qui est une institution, à l’entretien régulier, à la dotation obligatoire, au recrutement certain, à la qualité, à l’universalité de l’enseignement primaire, et, pendant dix-huit ans, aux trois étages de

  1. Ordonnance du 4 octobre 1814.