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pour principal motif de bien faire, l’espoir de monter en grade et d’être promus ailleurs, par suite, et d’avance, presque détachés de l’établissement où ils exercent, outre cela, conduits, poussés et réprimés d’en haut, enfermés chacun dans son compartiment spécial et dans sa besogne restreinte, le proviseur cantonné dans son administration et le professeur dans sa classe, avec défense expresse d’en sortir, aucun professeur, « sous aucun prétexte, ne pouvant recevoir dans sa maison, comme externes ou internes, plus de deux élèves[1], » aucune femme ne pouvant loger dans l’intérieur du lycée ou collège, tous, proviseur, censeur, économe, aumônier, maîtres et sous-maîtres, juxtaposés comme des rouages engrenés ensemble par art et par force, sans concorde intime, sans lien moral, sans intérêt collectif, belle et savante machine, qui, à l’ordinaire, fonctionne correctement et sans accrocs, mais qui n’a point d’âme, parce que, pour avoir une âme, il faut d’abord être un corps vivant. En sa qualité de machine construite à Paris sur un type unique et superposée aux gens et aux choses depuis Perpignan jusqu’à Douai et depuis La Rochelle jusqu’à Besançon, elle ne s’accommode pas aux convenances de son public, elle soumet son public aux exigences, à la rigidité, à l’uniformité de son jeu et de sa structure. Or, comme elle n’agit que mécaniquement, par pression extérieure, la matière humaine, sur laquelle elle opère, doit être passive, composée, non de personnes diverses, mais d’unités toutes semblables : les élèves ne peuvent être pour elle que des numéros et des noms. — De là, nos internats, ces grosses boîtes de pierre dressées et isolées dans chaque grande ville, ces lycées aménagés pour trois cents, quatre cents et jusqu’à huit cents pensionnaires, dortoirs et réfectoires immenses, cours de récréation fourmillantes, salles d’étude et de classe encombrées, et, pendant huit ou dix ans, pour la moitié de nos enfans et adolescens, un régime à part, antisocial et antinaturel, la clôture exacte, nulle sortie, sauf pour marcher deux à deux en file sous les yeux du sous-maître qui maintient l’ordre dans les rangs, la promiscuité et la vie en commun, la régularité minutieuse et stricte, sous une discipline égalitaire et sous une contrainte incessante, pour manger, dormir, étudier, jouer, se promener, et le reste, bref, le communisme.

De l’Université, ce régime s’est propagé chez ses rivales. Aussi bien, c’est elle qui, conférant les grades et faisant passer les examens, dresse et surcharge tous les programmes scolaires : par suite, elle provoque chez autrui ce qu’elle pratique chez elle,

  1. Arrêté du 11 janvier 1811. — Décret du 17 mars 1808, articles 101 et 102.