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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/789

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tombé en désuétude, qu’on ne dise encore communément, pour évaluer la fortune d’un particulier, qu’il a tant de mille livres de rente ; et que d’anciennes monnaies réelles, qui ont autrefois circulé en France, ne subsistent dans le langage courant des campagnes, quoique, depuis cent ans et plus, on n’en ait pas vu une seule. La pistole, monnaie d’Espagne, de Flandre et d’Italie, — jamais il n’en a été frappé par nos rois, — fut proscrite sous Louis XIV ; et, pourtant, en 1892, les paysans bas-normands, sur un champ de foire, ne formulent le prix de leurs bestiaux qu’en pistoles et demi-pistoles ; les paysans bretons le formulent en réaux, dernier vestige des rapports commerciaux avec l’Espagne. Les ruraux de bien des provinces continuent à chiffrer les sommes en écus, et les Parisiens, hommes de sport et de cercles, continuent à les chiffrer en louis, quoiqu’il n’y ait plus ni louis, ni écus, ni réaux, ni pistoles.


I

La livre tournois, que nous trouvons dans la première moitié du XIIIe siècle à l’état de monnaie de compte, avait-elle été sous Charlemagne une monnaie réelle, en or, à peu près semblable comme poids à ces pièces de 100 francs, les reines de notre système monétaire, dont on ne voit guère de spécimens que sur le tapis vert de Monaco ? C’est une question qui, jusqu’ici, n’a pas été résolue, et dont la discussion m’entraînerait hors du cadre de cette étude. Toujours est-il qu’au milieu du règne de Philippe-Auguste, en 1200, le mot « livre tournois » ne désignait pas une pièce de monnaie, mais une quantité d’argent supposée égale à 98 grammes d’argent, puisqu’on disait que le « marc, — 245 grammes, — valait deux livres dix sols. »

La livre tournois n’existant que dans le langage, ne servant qu’à compter, de quelle monnaie se servait-on pour payer ? D’un nombre infini de morceaux d’or, d’argent, de billon, frappés par toutes sortes de gens dans toutes espèces de pays, et que le public se chargeait d’apprécier en livres, sous et deniers, à leur juste valeur de poids et de titre. Les barons et les prélats qui battaient monnaie régulièrement, au XIIIe siècle, étaient au nombre de quatre-vingts. Il y avait donc, en théorie, quatre-vingts étalons monnayés. En pratique il y en avait davantage. Avant de devenir sous la féodalité un droit seigneurial, puis un droit régalien, la monnaie était apparue aux peuples des temps mérovingiens sous un aspect commercial, bien plus que sous l’aspect administratif.

On se faisait de la monnaie, sous Dagobert, une idée plus juste, plus conforme aux principes de l’économie politique, et plus