Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/791

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cessé d’y jouir de la faveur publique. Le sterling était plus solide pourtant, il s’est mieux tenu que le tournois à travers les siècles. Son histoire ne comporte pas une dépréciation aussi folle. Dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, la livre sterling, au lieu de valoir 25 francs, comme de nos jours, en valait à peu près 75. Elle était le quadruple de la livre tournois. Elle diminua graduellement jusqu’en 1561, où Elisabeth la fixa sous les espèces du « souverain » d’or, qui a subsisté depuis, immuable comme poids et comme titre, et toujours divisé, comme au temps de Richard Cœur-de-Lion, en 20 sous que l’on nomme shillings, et en 240 deniers que l’on nomme pence.

La livre sterling valait, à cette date (1561), huit livres tournois environ ; deux siècles plus tard elle en vaudra plus de 27. Et cette seule évolution de la monnaie des deux peuples causa de singulières différences dans la fortune mobilière, en France et en Angleterre.

Les livres tournois et sterling, si leur valeur, à une époque très ancienne, a été la même, ce qui est possible, puisque le sou de Charlemagne valait 4 fr. et que le sou de saint Louis ne valait qu’un franc, semblent n’avoir eu, depuis la conquête normande, aucune espèce de rapports, n’avoir jamais influé l’une sur l’autre ; on peut s’en convaincre en comparant les dates de leurs variations respectives. Au contraire, les « livres de compte » des peuples de Lorraine, Bourgogne, Dauphiné, Provence, Languedoc, Roussillon, etc., ont suivi, dans leur avilissement progressif, la marche décroissante du tournois, jusqu’à ce que l’absorption des fiefs par la famille royale fit disparaître peu à peu leur usage, leur nom et, dans les temps modernes, jusqu’à leur souvenir.

Le Languedoc, au temps des Albigeois, se servait de la livre raimondine ou arnaudine : et non-seulement les gouverneurs royaux respectaient, cent ans après, ces monnaies locales, mais ils continuaient de faire fondre, pour la province, des types très différens de ceux dont on usait à Paris et dans le Nord. Dans tout le Sud-Ouest, les monnaies de Roussillon s’étaient aussi largement répandues, par le commerce dont ce petit coin de terre avait été longtemps, sur la Méditerranée, l’un des centres favorisés. On comptait ici en livres perpignanaise, melgorienne et barcelonaise de tern, cette dernière créée par les rois de Majorque, comtes de Barcelone et de Roussillon.

Tous ces systèmes évoluaient un peu dans l’orbite du nôtre, mais sans que l’on puisse établir entre eux aucune proportion constante. Je n’infligerai pas du reste au lecteur le détail, passablement embrouillé, des luttes de ces multiples monnaies de compte les