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frais de fabrication. — Aux époques d’altérations officielles des monnaies par le roi, cet écart devient énorme.

Les altérations revêtaient deux formes bien distinctes : l’une portait sur la nature du métal, l’autre sur sa valeur en livres. Par la première, l’Etat donnait du cuivre, plus ou moins mélangé d’or et d’argent, pour de l’or et de l’argent pur. C’est la fausse monnaie classique que nos tribunaux punissent mensuellement des travaux forcés ou de la réclusion. Par la seconde, l’État attribuait à un métal ou à l’autre, mais le plus souvent à l’argent, une valeur arbitraire.

Aux yeux de nos ancêtres, ces deux opérations n’étaient pas blâmables au même degré. Pour eux, il y avait une nuance considérable entre le fait de changer le titre d’une monnaie, sans crier gare, d’émettre frauduleusement des « doubles » ou des « liards » qui ne contenaient que la moitié, ou le tiers, de leur poids en métal fin, et le fait de déclarer qu’une certaine espèce en circulation, qui valait dix sous la veille, en vaudrait quinze le lendemain. Ces deux procédés étaient fort désagréables aux peuples ; les contribuables faisaient leur possible pour s’en garantir, et nous allons voir qu’ils y ont réussi. Mais le premier leur semblait un pur vol ; à ceux qui l’emploient trop souvent, et sans vergogne, comme Philippe le Bel, ils décernent l’épithète de « faux monnayeurs. » Le second leur apparaissait comme un impôt, odieux mais non illégitime, qui n’outrepassait pas absolument les droits de la puissance publique.

Il ne faut pas oublier que, jusqu’aux temps modernes, la doctrine gouvernementale était « que le prince a le droit de hausser et de baisser de prix la monnaie, quand ses affaires le désireront. » C’est un conseiller d’État, Le Bret, qui tient ce langage en plein XVIIe siècle, et voici ce qu’au XVIIIe on imprimait : « L’argent a, comme monnaie, une valeur que le prince peut fixer ; il établit une proportion entre une quantité d’argent, comme métal, et la même quantité, comme monnaie ; il fixe celle qui est entre les divers métaux employés à la monnaie… ; enfin il donne à chaque pièce une valeur idéale ! » Ces lignes sont signées Montesquieu, et l’auteur d’un Dictionnaire des monnaies, ouvrage estimable publié il y a cent ans, trouve la théorie si juste qu’il la donne à ses lecteurs comme de lui.

Au fond, les princes du moyen âge, gros et petits, clercs ou laïques, s’estimant maîtres du numéraire comme d’une portion de leur domaine, se livraient sans scrupule à la pratique des deux sortes de fausse monnaie que je viens de dire ; ce qui ne les empêchait pas de réserver ingénument la corde ou l’eau