Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/805

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre 4,100,000 kilogrammes d’or. Il n’y aurait donc actuellement, sur le globe, que 32 fois plus d’argent que d’or ; et cependant l’or ne valait en 1500 que 11 fois et demi l’argent, tandis qu’il vaut en 1892 15 lois et demi plus, légalement, et 18 lois plus commercialement. Il est à la fois plus abondant et plus cher.

Et ce phénomène serait rendu plus sensible encore si l’on pouvait savoir combien, sur ces masses métalliques de 1500 et de 1892, il y a de kilogrammes employés aux usages domestiques, et combien il y en a de monnayés. L’on verrait que, par suite de l’accroissement du bien-être des classes moyennes, une bonne quantité d’argent a passé en cuillers et en fourchettes, en montres, en anneaux, etc., et que les proportions respectives de l’or à l’argent : 1 à 36 en 1500, 1 à 32 en 1892, sont plus favorables même à l’argent qu’elles ne le paraissent. Il n’y a peut-être pas, en effet, le tiers de l’argent, extrait des mines, à exister sous forme de numéraire ; par suite, la proportion de la monnaie d’argent, par rapport à la monnaie d’or, est beaucoup moindre qu’au moyen âge.

Le simple bon sens, au surplus, ne suffit-il pas à le faire concevoir, et est-il besoin d’une statistique ? La diminution seule du pouvoir de l’argent l’a rendu incommode, et impropre à une foule d’usages auxquels il suffisait jadis. Le même objet que l’on avait en 1400, en 1500, pour 1,000 grammes d’argent équivaut aujourd’hui à 5,000 ou 6,000. On pouvait porter 1 kilogramme dans sa poche, et 5 ou 6 kilogrammes dans sa valise ; on répugne à porter 5 ou 6 kilogrammes d’argent dans sa poche et 25 ou 30 dans sa valise. Et je crois que l’argent aurait baissé bien davantage encore en notre siècle, par rapport à l’or, si l’on n’avait pas inventé le billet de banque, qui, s’appliquant aux deux métaux, atténue les défauts encombrans de l’un d’eux. Cet encombrement n’existait pas jadis ; il fallait si peu de métal pour tant de choses ! La comparaison seule du grand nombre des paiemens qui devaient se faire en argent, avec le petit nombre des paiemens qui pouvaient se faire en or, suffit à faire prendre le premier, plutôt que le second métal, pour base des prix de la livre-monnaie.

Il nous reste à examiner les conséquences de la dépréciation de la livre pour la fortune mobilière. Elles ont été immenses. La fortune mobilière est la grande victime du passé. J’ignore quel sort lui est réservé dans l’avenir ; il ne pourra vraisemblablement être pire. C’est un fait, à la vérité, que nul n’ignore, mais le résultat de cette étude est de le mettre plus complètement en lumière. Ce genre de fortune a été atteint en France de trois façons : par la diminution du pouvoir de l’argent, par l’avilissement de la livre-monnaie, par la baisse du taux de l’intérêt. Et ces trois fléaux des capitalistes du