Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/804

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nommait, l’État essayait souvent de rétablir le rapport auquel il tenait, en élevant le prix du métal qui restait stationnaire.

Mais l’élévation légale de ce dernier était immédiatement suivie d’une augmentation commerciale correspondante de l’autre. La lutte s’engageait entre le pouvoir qui courait après son « juste rapport, » avec une persévérance tout à fait bouffonne, et le public qui voulait précisément changer ce rapport. Les prix du marc d’or et du marc d’argent montaient alternativement, jusqu’à ce que le souverain et ses ministres, vaincus par la force des choses, battissent en retraite. Un exemple mémorable des conflits de ce genre, où naturellement le commerce eut le dernier mot, nous est fourni par l’histoire monétaire du règne de Louis XIII, durant lequel le rapport entre l’or et l’argent, qui était en 1602 de 11.87, s’éleva à 14.76 en 1640.

Pour la réduction de l’ancienne livre tournois en francs, il est préférable de se fonder exclusivement sur le prix comparé de l’argent autrefois et aujourd’hui, plutôt que de prendre, comme point de départ, le prix de l’or, ou un prix combiné de la valeur de l’or et de l’argent de jadis avec celui de l’or et de l’argent d’à présent. La livre, bien qu’elle ne fût ni en or ni en argent, signifiait implicitement de l’argent, parce qu’elle ne s’échangeait au pair que contre de l’argent. Pour avoir des espèces d’or en échange d’espèces d’argent, on payait constamment un change très élevé, qui augmente d’autant, par la plus-value donnée à l’or, la distance marchande des deux métaux monnayés.

Quand même d’ailleurs il serait vrai que l’on ait eu jadis un gramme d’or pour 12 grammes d’argent, au lieu de 15 et demi que l’on en doit donner aujourd’hui, la substitution incessante d’un métal à l’autre, dans la même bourse, fait que, le rapport inverse étant également vrai, le gramme d’argent d’autrefois ne vaut intrinsèquement ni plus ni moins que le gramme d’argent d’aujourd’hui, puisque nos lois définissent le franc : « quatre grammes et demi d’argent fin. »

D’ailleurs, les prix respectifs de l’or et de l’argent, comme ceux de toute autre marchandise, ne dépendent pas seulement de leur abondance plus ou moins grande, mais de l’usage plus ou moins grand qui en est fait. Croire que l’or était moins cher autrefois, parce qu’il était moins rare, serait une erreur. En voici la preuve : on évalue le stock de métaux précieux en Europe, au commencement du XVIe siècle, à 87,000 kilogrammes d’or et 3,150,000 kilogrammes d’argent. Il y aurait donc eu, en l’an 1500, 36 fois plus d’argent que d’or. Il y a une vingtaine d’années on calculait qu’il avait été extrait, depuis trois siècles et demi, tant dans l’ancien continent que dans le nouveau, 132,500,000 kilogrammes d’argent