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I

Ce n’est point sans raison qu’on a distingué deux « cycles, » — non moins héroïques l’un que l’autre, — dans la philosophie de Descartes : le cycle mathématique et le cycle métaphysique. Le premier correspond, d’une manière générale, à la période voyageuse de son existence, où, tout en faisant la guerre, il est à la piste des travaux scientifiques, cherchant à faire connaissance avec, les savans de chaque pays pour s’initier à toutes leurs découvertes. S’il s’engage comme volontaire sous le prince Maurice de Nassau, c’est que le grand capitaine traînait après lui une escorte de mathématiciens et d’ingénieurs. Descartes aperçoit-il, à Bréda, une affiche en flamand qui renferme des signes géométriques, il prie aussitôt un de ses voisins de la lui traduire en français ou en latin : c’était un problème de géométrie dont on défiait de trouver la solution. Chacun sait comment le traducteur, qui se trouvait être un mathématicien éminent, Beckman, crut se moquer du jeune officier en lui demandant d’apporter le lendemain la solution ; et le jeune officier n’y manqua point. Plus tard, Descartes entend-il parler des Rose-Croix, cette confrérie mystérieuse dont les membres promettaient aux hommes la « science véritable, » le voilà qui se met à leur recherche. Plus tard il déclare qu’il n’a pu en rencontrer aucun, mais il leur dédie son ouvrage intitulé : Trésor mathématique de Polybius le cosmopolite ; et on a prétendu, malgré ses dénégations, qu’il faisait partie de cette confrérie, dont le but était de chercher la science en dehors de la théologie. Entre-t-il à Prague avec l’armée victorieuse, sa première pensée est de chercher la célèbre collection des instrumens de Tycho-Brahé. S’il abandonne, par la suite, le métier des armes, il continue encore de voyager : il visite le nord, revient du nord au midi, parcourt l’Italie ; à Venise, il voit le mariage du doge avec l’Adriatique ; il accomplit son pèlerinage à Lorette, assiste au jubilé de Rome et s’intéresse surtout au grand concours de peuple venu des pays les plus lointains ; l’antiquité ne l’inquiète guère ; les mœurs du présent, avec leur diversité, l’occupent davantage : il semble qu’il éprouve une sorte de plaisir philosophique à voir combien tout est changeant dans le monde de l’expérience humaine, de nos lois et de nos mœurs, par opposition à ce monde immuable de la raison et des idées où il demeure toujours attaché par la pensée. Ainsi apprend-il à ne rien croire de ce qui n’est fondé « que sur la coutume, non sur la raison. » D’Italie, il rentre en France par la vallée de Suse, mais il se détourne de quelques lieues pour calculer la hauteur du