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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/874

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troisième et dernière année était consacrée aux mathématiques[1]. Dans le cours de leur enseignement, les jésuites séparaient assez volontiers la foi de la science, et permettaient toutes les études, toutes les lectures, pourvu qu’on réservât l’autorité de l’Église. Certaines sciences où il est inévitable d’entrer en conflit avec la théologie, telles que la critique historique, la géologie, l’anthropologie, n’existaient pas encore. Les jansénistes, moins tolérans que les jésuites, devaient bientôt regarder avec quelque défiance un bon nombre de sciences ; Descartes, lui, conserva toujours un esprit de tolérance beaucoup plus large : il était porté à croire qu’il est avec la théologie des accommodemens. Il avait trop parcouru le monde pour ne pas voir combien les croyances religieuses changent avec les pays : il gardait sa religion, parce qu’elle en valait une autre, — et même lui semblait valoir mieux, — mais aussi parce que c’était la religion « en laquelle il était né. » Si le théologien réformé Régius le presse d’examiner les fondemens de sa foi avec autant de soin que ceux de sa philosophie, il se borne à répondre : j’ai la religion du roi, j’ai la religion de ma nourrice. A ceux qui voulaient changer de culte, il conseillait de rester tranquilles dans la foi de leurs pères.

Le « sens figuré » de la Bible a toujours été un refuge pour les grands esprits qui furent en même temps des croyans. Descartes est du nombre. Il y a, selon lui, « des façons de parler de Dieu dont l’Écriture se sert ordinairement, qui sont accommodées à la capacité du vulgaire et qui contiennent bien quelque vérité, mais seulement en tant qu’elle est rapportée aux hommes : » mais il y a d’autres façons de parler qui ont une valeur absolue et sont les objets d’une foi raisonnable : « Ce sont celles qui expriment une vérité plus simple et plus pure, qui ne change point de nature, encore qu’elle ne soit point rapportée aux hommes. » On reconnaît ici la distinction familière à Descartes du sensible et de l’intelligible ; ce fondement de toute sa philosophie était aussi le fondement de sa foi religieuse. Au-dessus de la lettre qui tue, il élève l’esprit qui vivifie, et l’esprit, c’est au fond la raison même, la vérité « simple et pure, qui ne change point de nature » avec les temps et avec ceux à qui elle s’adresse. A propos de la Genèse, « on pourrait dire, selon lui, que, cette histoire ayant été écrite pour l’homme, ce sont principalement les choses qui regardent l’homme que le Saint-Esprit y a voulu spécifier, et qu’il n’y est parlé d’aucune qu’en tant quelles se rapportent à l’homme. » Il

  1. Pour le dire en passant, nos jeunes gens auraient tout avantage à recevoir une instruction de ce genre.