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n’est donc pas étonnant que, par rapport à l’homme, le soleil tourne !

Le langage de Descartes à Mlle Schurmann ne montre pas grande foi dans l’inspiration des Écritures en ce qui concerne la lettre et les détails. Descartes trouvait assez enfantin le récit de Moïse, parlant au peuple le langage populaire. Comme Mlle Schurmann se récriait, Descartes lui assura qu’il avait été, lui aussi, curieux de savoir ce que disait exactement Moïse sur la création, et qu’il avait même appris l’hébreu pour en juger dans l’original ; mais « trouvant que Moïse n’a rien dit clarè et distincte, » il l’avait laissé là a comme ne pouvant lui apporter aucune lumière en philosophie. » Descartes disait encore qu’il y aurait un livre curieux à écrire, et auquel il avait songé : des miracles ; on y ferait voir tous les miracles que la science, surtout l’optique et la médecine, peut accomplir. Ce livre eût pu le mener loin.

On sait comment, à la première nouvelle de la condamnation de Galilée, Descartes supprima son Traité du monde. Il invoque « le désir qu’il a de vivre en repos et de continuer la vie qu’il a commencée. » D’ailleurs, il ne perd pas tout à fait espérance « qu’il n’en arrive ainsi que des antipodes, qui avaient été quasi en même sorte condamnés autre fois, » et ainsi que son Monde a ne puisse voir le jour avec le temps. » En attendant, on sait par quels subterfuges, dans son livre des Principes, il expose la théorie du mouvement de la terre, tout en la niant d’apparence. « Que ne preniez-vous un biais ? » écrivait-il à son ami Regius, qui s’était attiré des affaires par son imprudence.

Mais Descartes avait beau, après une jeunesse si vaillamment dépensée sur les champs de bataille, pousser désormais à l’excès la « prudence du serpent » qui lui paraissait de mise en théologie, cet homme né catholique et élève des jésuites avait le tempérament d’un protestant ; il était, — ce dont les protestans mêmes se dispensent parfois, — le libre examen en personne. Sa méthode de doute et de critique, comment ne l’aurait-on pas bientôt appliquée à la théologie et à l’exégèse religieuse, comme à tout le reste ? Les cartésiens hollandais n’y manqueront pas, et Spinoza est proche. Aussi, malgré toutes ses précautions, Descartes finit, en Hollande même, par déchaîner contre lui les théologiens. La tendance des cartésiens de Hollande était de soumettre la théologie à la raison ; les théologiens dissidens faisaient cause commune avec les cartésiens. Les orthodoxes s’alarmèrent. On sait comment, dénoncé par Voetius, recteur de l’université d’Utrecht, Descartes lut appelé devant les magistrats pour répondre du crime d’athéisme et voir brûler ses livres par la main du bourreau. L’intervention de l’ambassadeur de France arrêta cette procédure.