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Tous les décrets des synodes et des universités ne devaient point empêcher le triomphe du cartésianisme. Clauberg, Geulinx, Meyer et Bekker préparent Spinoza et son Traité théologico-politique. Comme Descartes, Spinoza soutiendra que c’est peine perdue de chercher dans les Écritures la vérité métaphysique, les « idées claires et adéquates. » L’Écriture ne parle jamais qu’une langue « appropriée aux hommes, » et même au vulgaire. Elle a pour but non la science, mais la conduite. La seule chose qu’elle enseigne clarè et distincte, et qui par cela même est vraie, c’est que, pour obéir à Dieu, il faut l’aimer et aimer tous les hommes. Voilà la religion rationnelle et universelle ; Spinoza la résume en sept articles de foi, qui ne sont que des articles de raison. Ce que Descartes avait projeté pour les miracles, Spinoza commence à le faire, il montre qu’on pourrait donner des explications naturelles des faits les plus merveilleux. Un miracle, étant contraire à l’universel mécanisme, serait une absurdité. L’ouvrage de Spinoza contient des chapitres d’un haut intérêt, non-seulement sur l’interprétation, mais aussi sur l’authenticité des Écritures. « Spinoza, a dit Strauss, est le père de l’exégèse biblique, » qui n’est que la méthode cartésienne transportée dans le domaine de la théologie et de l’histoire.

Le 20 novembre 1663, treize ans après la mort de Descartes, la congrégation de l’Index proscrivait ses ouvrages, donec corrigantur. Qui les corrigera ? Le fait est que Descartes avait « sécularisé » la métaphysique et la théologie tout comme la science. Voyons donc ce que fut la théologie rationnelle de Descartes.


IX

Toute la métaphysique est une pyramide d’idées, puisque nous ne saisissons l’être que dans et par l’idée ; c’est là un principe désormais accepté par l’idéalisme moderne. Il s’agit donc de ranger nos idées dans l’ordre de leur valeur, pour mettre au sommet de la pyramide la notion où toutes les autres viennent converger et se réunir. Or pour Descartes, si on divise les idées selon leurs objets, non plus selon leur origine, elles se rangeront en trois grandes classes : ici, l’idée intuitive d’un être réel qui pourrait ne pas exister, à savoir moi, « ma pensée ; » là, les idées d’êtres simplement possibles et dont l’existence ne m’est pas immédiatement donnée : c’est le monde extérieur ; enfin, au plus haut de mon intelligence, l’idée d’un être nécessaire, où la possibilité et l’existence réelle sont inséparables. Tant qu’on n’est pas remonté à cette dernière idée il reste, selon Descartes, une universelle séparation