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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/880

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diversement appliquées, et que chacun peut les mêler en toutes sortes de manières, » il faudrait répondre, selon Descartes, qu’en parlant de la peinture d’Apelle, on ne considère pas seulement un certain « mélange de couleurs, » mais « l’art du peintre pour représenter certaines ressemblances des choses. » C’est cet art qui n’est point en chacun et qui, si un tableau existe, doit exister quelque part, chez l’auteur du tableau, si bien que toute la perfection de l’œuvre suppose une perfection encore plus éminente chez l’artiste. Notre idée de Dieu, pour Descartes, suppose de même, quelque part, une perfection véritable : par un simple mélange de nos idées, nous ne pourrions composer ce chef-d’œuvre de la pensée.

La discussion de cette seconde preuve, elle aussi, nous entraînerait trop loin. Disons seulement que l’idée de perfection n’a pas la « simplicité » et « l’unité » dont parle Descartes : la réalité peut donc nous en fournir les élémens. Elle est un composé de nos diverses facultés indéfiniment augmentées : science, puissance, bonheur. On peut même se demander si elle exprime autre chose qu’un point de vue tout humain, une simple satisfaction de nos aspirations humaines, un idéal de béatitude sensitive, intellectuelle et volontaire, par conséquent une de ces « causes finales » dont se défiait Descartes. La perfection, après tout, est une fin, elle est la fin même ; c’est moins une « idée » qu’un objet de « désir, » et n’est-ce pas Descartes lui-même qui nous a appris à ne pas mesurer la réalité à nos désirs ? Toutefois, quelques objections que l’on puisse faire ici, Descartes aura l’honneur d’avoir indiqué que la vraie raison spéculative de croire à l’existence de la perfection ne peut être, après tout, que l’idée même du parfait, jointe à la persuasion que « dans toute idée il y a de l’être. »


X

Après que Descartes a établi « l’inébranlable, » c’est-à-dire notre pensée et l’idée de l’être nécessaire, il ouvre sa dernière méditation par ces paroles d’un superbe idéalisme : « Il ne me reste plus maintenant qu’à examiner s’il y a des choses matérielles ! » La question peut surprendre ceux qui n’ont jamais réfléchi. Et cependant, pour la philosophie contemporaine comme pour Descartes, quel est le seul monde qui nous soit immédiatement donné ? — Un monde idéal, composé uniquement, comme dit Schopenhauer, de représentations dans notre tête. La « mathématique universelle, » par l’ordre intelligible qu’elle y introduit, en