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pleine bataille. Lord Salisbury a été peut-être d’autant plus imprudent qu’il a affaire à l’adversaire le plus puissant, le plus habile à profiter de toutes les fautes ; il a devant lui M. Gladstone, et c’est certainement un des plus curieux, un des plus saisissans spectacles que celui de ce grand vieillard retrouvant à plus de quatre-vingts ans toute sa netteté d’esprit, toute sa verdeur pour renouveler la campagne du Midlothian contre lord Beaconsfield, pour ramener une dernière fois au combat son armée libérale. M. Gladstone a vraiment déployé tout son art de tacticien dans le dernier discours qu’il a prononcé à Memorial-Hall ; et où il s’est étudié à tout ménager pour rallier toutes ses forces, à désintéresser les susceptibilités britanniques, à fondre dans un même programme la politique irlandaise et les réformes libérales revendiquées par les progressistes anglais. Il a tout combiné avec autant de puissance que de dextérité : c’est à coup sûr le plus grand meneur de batailles électorales, et celle qu’il conduit aujourd’hui si allègrement malgré son âge est, de son propre aveu, une des plus sérieuses qu’il ait livrées ; elle peut dans tous les cas décider pour longtemps des affaires de l’Angleterre.

Entre conservateurs et libéraux ainsi engagés sous des chefs habiles, au milieu d’une agitation croissante, on ne peut guère prévoir encore de quel côté se tournera la fortune. Lord Salisbury a pour lui de vieilles traditions, la force d’une opinion toujours puissante, les grandes influences, les difficultés mêmes de cette question irlandaise avec laquelle bien des Anglais voudraient en finir et dont ils sentent la périlleuse gravité ; M. Gladstone a pour lui sa popularité, l’éclat de son éloquence et de sa longue carrière, l’alliance des forces démocratiques grandissantes, le courant apparent de l’opinion, sans parler des Irlandais. Seulement, et c’est une complication de plus de ce grand scrutin, M. Gladstone gagnât-il cette dernière bataille, il resterait à savoir s’il ne sera pas trahi par l’âge, s’il gardera assez de force pour assurer jusqu’au bout, pour organiser une victoire libérale, et si cette victoire pourrait être durable sans lui.

Ces élections anglaises qui se préparent sont l’événement de demain. Aujourd’hui même s’ouvre, sur un plus petit théâtre, en Belgique, une lutte qui n’est pas moins sérieuse pour l’élection de la chambre nouvelle et du nouveau sénat chargés de réviser la constitution. Ce n’est pas sans peine qu’on en est arrivé là et qu’on a fini par se mettre d’accord sinon sur un programme complet, du moins sur le principe de la révision. Jusqu’au dernier moment, on a bataillé dans le parlement belge et sur le referendum et sur le suffrage universel, et sur la représentation proportionnelle, sans réussir à s’entendre. Plus d’une fois les confusions des partis, les dissentimens violens ont failli rendre tout impossible, et même, à la dernière heure, le chef de cabinet qui a conduit avec une singulière dextérité cette étrange cam-