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pagne, M. Beernaert, a été tout près de donner sa démission. S’il ne l’a pas fait, c’est pour ne pas créer une complication de plus à la veille du scrutin, pour ne pas ajouter une crise ministérielle à la crise des institutions et des élections. Il est resté au pouvoir sans illusion, avec un cabinet incomplet depuis la mort du prince de Chimay et qu’il vient tout juste de compléter à la veille des élections. On a fini sans doute par sortir de toutes ces broussailles. Y voit-on beaucoup plus clair aujourd’hui, au moment où l’on vote ? Un des traits les plus curieux de cette situation si nouvelle de la Belgique, c’est que l’obscurité ne cesse de régner sur toutes les questions délicates soulevées par la révision et que les dissidences sont dans tous les camps entre catholiques ou libéraux, entre M. Beernaert et M. Wœste comme entre M. Frère-Orban et les radicaux. On vote pour la révision, puisque c’est ainsi décidé ; on ne sait pas ce que sera cette révision, et même on évite de trop s’expliquer.

Au fond, la seule chose vraie et claire dans ces élections, c’est la vieille lutte entre les deux grands partis belges, catholiques et libéraux. Les uns et les autres sont en présence, se disputant la victoire, les vainqueurs se réservant évidemment de conduire la révision à leur manière et d’en faire leur profit. Quels que soient les dissentimens entre M. Beernaert et M. Wœste sur le referendum, les catholiques se retrouvent unis dans le combat et marchent d’un même pas au scrutin. Quoique M. Frère-Orban et ses amis ne s’entendent guère avec les radicaux sur le suffrage universel, les libéraux de toutes nuances ont senti la nécessité de se rapprocher, de se concerter dans un intérêt de parti. Modérés et progressistes marchent ensemble, et les libéraux de Bruxelles ont su habilement relever leur liste par une candidature inattendue, celle de M. le général Brialmont, un des premiers ingénieurs militaires de l’Europe, le principal auteur des fortifications de la Meuse, qui vient d’être misa la retraite et qui parait disposé à prendre un rôle politique. Aujourd’hui, au scrutin, c’est la lutte traditionnelle des catholiques et des libéraux ; demain, dans le parlement constituant, renaîtra la grande controverse de la révision, et la Belgique aura été peut-être plus heureuse que sage si elle retrouve avec sa constitution révisée les soixante années de paix et de liberté qu’elle a dues à sa vieille constitution.

Est-ce donc en Europe seulement qu’il y a de ces agitations d’opinion, de ces crises d’élections ? Non, vraiment, il y a des scrutins qui s’ouvrent ou qui se préparent dans bien d’autres régions, dans le Nouveau-Monde comme dans l’ancien. On ne peut parler, sans doute, de ces républiques de l’Amérique du Sud comme le Venezuela où les révisions de constitution et les élections se font à main armée, par la sédition et la guerre civile. Aux États-Unis, dans ce pays de démocratie puissante, assez violente et passablement dénuée de scrupules, si l’on