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les applaudissemens qu’elle a reçus de tout le monde plutôt par bonheur que par mérite. » Cependant, il est exaspéré de ce que Molière n’ait pas voulu se laisser voler ; aussi, dans sa préface, le traite-t-il pour la seconde fois de plagiaire, avec un redoublement de haine et de violence : « Il semblera extraordinaire qu’après avoir loué Mascarille comme je l’ai fait dans les Véritables Précieuses, je me sois donné la peine de mettre en vers un ouvrage dont il se dit auteur, et qui, sans doute, ne lui doit quelque chose, si ce n’est par ce qu’il y a ajouté de son estoc au vol qu’il y a fait aux Italiens à qui M. l’abbé de Pure les avoit donnés. » On trouverait difficilement un plus rare exemple de cynisme : c’est au moment où lui-même vole Molière, que Somaize accuse Molière de vol.

L’effronté plagiaire s’attache ensuite à faire valoir et à justifier son entreprise : « Ce seroit, déclare-t-il, faire le modeste à contretemps, de ne pas dire que je crois n’avoir rien dérobé aux Précieuses ridicules de leurs agrémens en les mettant en vers ; même si j’en voulois croire ceux qui les ont vues, je me vanterois d’y en avoir beaucoup ajouté. » Il expose avec complaisance la difficulté qu’il y avait à « mettre en vers mot pour mot une prose aussi bizarre que celle qu’il a eu à tourner. » Pourtant, si jamais traduction fut une trahison, c’est bien la sienne : le malheureux a trouvé le moyen, en rimant cette prose souple et ferme, d’une facture si simple et si large, d’en tirer les vers les plus lourds et les plus plats, les plus pénibles et les plus ternes. Quant au reste, sûr de son droit et parfaitement tranquille, il termine ainsi sa préface : « Il faut que les procès plaisent merveilleusement aux libraires du palais, puisqu’à peine cette comédie est achevée d’imprimer, que de Luyne, Sercy et Barbin, malgré le privilège que M. le chancelier m’en a donné avec toute la complaisance possible, ne laissent pas de faire signifier une opposition à mon libraire, comme si jusques ici les versions avoient été défendues et qu’il ne fût pas permis de mettre le Pater noster françois en vers. »

Le même homme, qui s’approprie avec tant de désinvolture le bien d’autrui, va nous montrer que, lorsqu’il s’agit de ses propres intérêts, il sait beaucoup mieux faire la distinction du tien et du mien. Continuant l’exploitation de la veine ouverte par Molière, il publiait bientôt, le 12 juillet 1660, une autre comédie, le Procès des Précieuses, en vers burlesques, non représentée, comme les Véritables Précieuses, et tout aussi peu digne de l’être. C’est la même stérilité d’invention, la même platitude, les mêmes prétentions avortées. Le sujet, ou plutôt la donnée, car de sujet il n’y en a guère, c’est le voyage à Paris d’un M. de Ribercour, député auprès de l’Académie française par la noblesse du Maine, pour se plaindre des ravages que fait dans cette province l’invasion de l’esprit