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longues mèches de la chevelure, raidies par le sang coagulé, qui pendent, comme une frange, devant les yeux, et de quelques autres traits d’un réalisme facile et brutal, mais on ne saurait rester insensible à l’affaissement, si puissamment caractérisé, de ce corps fatigué et martyrisé, et à l’expression, si profondément douloureuse, de l’ensemble, non plus qu’à la hardiesse vigoureuse et à la sûreté de l’exécution. Une Mort de Jésus, groupe de cinq figures, en marbre, par M. Arias, un Chilien, dont le modèle avait été déjà médaillé en 1887, offre aussi des qualités de dramaturge et de praticien remarquables. La nudité complète de la Madeleine qui se tord aux pieds du Christ, dans l’attitude d’une nymphe éplorée, y semble seule assez déplacée. Quand on peut donner à des figures drapées une expression aussi vive et aussi profonde que le fait M. Arias, pour sa Vierge et son saint Jean, on n’a point d’excuse de se livrer à ces inconvenances académiques. Les sujets chrétiens paraissent, du reste, en général, n’être plus que des prétextes à études de difficultés ou de grâces anatomiques ; ce n’est pas non plus par le sentiment religieux que le Saint Saturnin de M. Seysses, martyr étendu à terre dans une attitude tourmentée, a mérité sa récompense, mais cette pose inaccoutumée donnait lieu à des difficultés d’exécution que l’artiste a surmontées à son honneur. Il y a plus d’émotion et de style dans le Saint Jérôme de M. Savine, bien que cette sculpture sur bois se présente surtout comme un spécimen de beau travail dans une matière trop délaissée par nos artistes ; pour l’allure et pour le caractère, ce vieillard, maigre et décharné, rappelle les solitaires de Ribera. D’autres sculpteurs, savans ou habiles, regardent les figures saintes à travers les interprétations qu’en ont déjà données les grands artistes de la Renaissance. C’est le cas de M. Thomas qui, reprenant, pour l’archevêché de Rouen, la figure de Saint Michel terrassant le démon, a su garder le souvenir de Raphaël, tout en rajeunissant l’archange par des modifications délicates ou ingénieuses dans le mouvement, l’expression, l’ajustement ; c’est le cas de M. Desvergnes, dont la Musique sacrée, bas-relief cintré, rappelle un peu par sa disposition la Sainte Cécile de M. Lombard ; mais, tandis que M. Lombard s’inspirait, dans ses Enfans musiciens, de la manière fine, délicate, un peu sèche et tranchante, de Mino da Fiesole, M. Desvergnes pense plus volontiers aux formes pleines et grasses des Délia Robbia et de leurs successeurs.

Il est plus difficile encore pour les sculpteurs que pour les peintres de se soustraire à la tyrannie de l’admiration et aux réminiscences du passé, à cause même des nécessités inflexibles de leur art