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à la recherche des gestes inattendus et des illuminations violentes ou bizarres, en des improvisations de brosse quelquefois heureuses et souvent téméraires. Parmi les plus inégaux, mais les plus curieux, se distingue toujours M. Zorn, quelquefois incompréhensible, mais fort amusant lorsque se débrouillent suffisamment ses figures sous des averses de touches tortillées et coulantes. Son Portrait de Mme H… et même celui de M. H… sont d’une belle et franche tournure, son étude de plusieurs personnes En omnibus montre, en cet artiste singulier, un observateur savant de toutes les lueurs, lueurs de physionomies humaines aussi bien que lueurs de soleil, étoffes et vitrages. A côté de M. Zorn, M. Whistler, qui fut considéré autrefois comme un révolutionnaire, est un peintre tout à fait classique. Il est de fait que son beau Portrait de lady Meux (Harmonie en gris et rose, comme il l’intitule suivant ses habitudes de classifications coloristes), est une des œuvres à la fois les plus correctes et les plus complètes du Salon. Une jeune femme, en robe grise, avec corsage et volans roses, debout, coiffée d’un large et lourd chapeau qui projette une grande ombre sur son visage, avec de grands yeux noirs et veloutés rayonnant doucement dans cette ombre ; c’est tout à fait anglais d’allure et d’harmonie, avec un sentiment très anglais aussi des vibrations harmonieuses et rares des colorations et qui nous fait penser aux chefs-d’œuvre les plus célèbres de l’école. M. Whistler pousse évidemment la recherche des raretés harmoniques jusqu’à l’extrême subtilité, et quelques-unes des études qu’il nous montre restent lettres closes pour la majorité du public, mais quand il dit bien ce qu’il veut dire, ce qui est extrêmement difficile, parce que cela est toujours rare et subtil, il est exquis. C’est ce qui lui arrive dans une délicieuse étude de mer qu’il appelle Gris et Vert, l’Océan. Un autre Anglais de premier mérite et que nous avons fort admiré en 1889, M. Burne-Jones, ne nous envoie pas malheureusement de grande pièce ; mais dans la série d’études qu’il expose, et dont plusieurs sont des têtes d’après nature, on reconnaît à la fois toute la distinction poétique de son esprit et sa parenté intime avec les plus délicieux maîtres de la renaissance italienne.

Si M. Whistler devient un classique, M. Stevens le devient bien plus encore. Comme d’habitude, il nous apporte un lot complet de ses œuvres, nouvelles et anciennes, et il met une sorte de coquetterie fort légitime à nous montrer qu’il est, en réalité, l’un des pères de la jeune école et qu’il a su depuis longtemps, avec la vigueur flamande, placer des femmes modernes dans des vêtemens modernes. La Virtuose, le Bain, la Musicienne, la Lettre de faire part, sont pour nous de vieilles connaissances, dont le