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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/222

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que lorsqu’il m’arrivait autrefois de m’égarer dans quelque pays où je n’étais jamais venu. Je cherchais le chemin le plus agréable et, à son défaut, je m’accommodais du premier qui se présentait… Ma seule préoccupation a toujours été de faire mon possible pour rendre intéressant ou amusant le chapitre que j’écrivais, et j’abandonnais le reste au destin. »

il appelait lui-même sa façon de composer une méthode de hasard et d’aventure, hab nab at a venture. Il la jugeait périlleuse et n’avait garde de la recommander à la jeunesse. Mais sa liberté lui était chère ; avait-il d’avance tracé sa route, il lui semblait, selon sa propre expression, « qu’il n’y avait plus de soleil dans son paysage. « Il a désespéré plus d’une fois de sortir de quelque mauvais pas où l’avait engagé sa folle imprévoyance ; il se mettait au lit en se donnant au diable ; mais il se disait : « Dormons sur nos deux oreilles, nous trouverons notre idée demain matin à sept heures sonnantes. » A sept heures, il la trouvait. Il avait découvert qu’un léger excès de table ne nuisait pas à la netteté miraculeuse de ses réveils ; au besoin, il recourait à la magnésie, et le chaos se débrouillait. Il n’est jamais demeuré court ; sa riche et féconde imagination, dont le revenu dépassait toujours la dépense, lui a fourni, dans tous les cas embarrassans, le moyen de se tirer d’affaire ; mais ses moyens étaient souvent des expédiens, et le lecteur attentif s’en aperçoit.

Les faiblesses mêmes et les défauts d’un écrivain aussi admirablement doué que Walter Scott aident à son succès. S’il avait été plus artiste, s’il avait eu le goût plus raffiné et le culte de la forme, s’il avait eu aussi plus de subtilité dans le sentiment, plus de profondeur ou d’élévation dans la pensée, moins de mépris pour la métaphysique, sa gloire en eût souffert. C’est pour l’homme moyen qu’il a écrit, et dès le premier jour, l’homme moyen a compris tout ce qu’il lui disait. Il attribuait lui-même son étonnante popularité à son naturel aventureux, aux entraînemens de sa plume et à sa très humaine bonhomie : — « Je sens bien, écrivait-il le 16 juin 1826, que s’il y a quelque chose de bon dans ma poésie et dans ma prose, c’est un laisser-aller, une hâte, une franchise de composition, a hurried frankness, qui plaît aux soldats, aux marins et à tous les jeunes gens d’humeur active et hardie. Je ne suis pas un poète à sonnets et à soupirs. »

Ce bonhomme, très avisé, aurait pu ajouter qu’il possédait à un degré rare le sens du pittoresque, le don d’intuition et, ce qui est plus précieux encore, le don de la vie. Il a renouvelé le roman historique en donnant aux hommes, aux mœurs, aux événemens et aux siècles leur vraie couleur. Il avait dû faire à cet effet de longues recherches, d’immenses lectures ; mais il s’appliquait à dissimuler sa science. Il reprochait à ses imitateurs d’alourdir leurs œuvres par l’étalage d’une érudition fraîchement acquise. La sienne était passée dans son sang ;