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III

Bazaine a écrit deux volumes sur son commandement. Le premier[1], publié à Paris en 1872, avant le procès, n’est guère qu’une compilation d’ordres, de dépêches et de rapports. Il n’en est pas de même du second[2], publié à Madrid en 1883. Celui-ci est un gros pamphlet, bourré de récriminations, d’attaques, d’insultes et de violences contre tout et contre tous. Il a osé y coller cette épigraphe : Veritas vincit. Si l’on y cherche la vérité promise, voici ce qu’on trouve : une incohérence calculée. A. tous les endroits délicats, à tous les passages dangereux, l’auteur se dérobe, disparaît tout à coup, à l’abri d’une digression inopinée, étrangère au sujet ; après quoi, le défilé franchi de la sorte, il reparaît et poursuit, avec une aisance parfaite, comme si de rien n’était. C’est merveilleux comme tour de passe-passe.

Voici ce qu’il dit, avec une modération d’ailleurs plus rare que de coutume, au sujet du général Jarras, nommé chef d’état-major. « Cet officier-général me lut imposé contrairement aux habitudes qui laissent la désignation, ou au moins la proposition à faire, au chef de l’armée sous les ordres duquel il doit servir. Il y a dans ces fonctions des relations journalières telles qu’il est indispensable, pour la marche régulière d’un service aussi important, que les caractères aient une grande assimilation, et je voulais avoir le général Manèque qui avait été avec moi au Mexique. Cette observation n’est pas dans ma pensée un blâme pour M. le général Jarras, loin de là, car j’ai toujours été satisfait de sa manière d’être à mon égard ; elle n’est que pour prouver qu’il m’a été imposé avec le commandement en chef. Il en a été de même des officiers composant le grand état-major-général, parmi lesquels s’en trouvaient quelques-uns, plutôt faits pour être journalistes-reporters que militaires, et dont je me serais bien passé. »

Écoutons maintenant le général Jarras. « J’espérais que le maréchal Bazaine, qui jusqu’alors m’avait témoigné de la bienveillance, faciliterait ma tâche, et ce fut là mon erreur. En effet, dès le commencement, le maréchal m’a systématiquement tenu à l’écart, sans me faire part de ses projets, si ce n’est au moment où il me donnait ses instructions pour transmettre ses ordres à l’armée. Pour être constamment en mesure de remplir ses fonctions dans toute leur étendue, le chef d’état-major a besoin d’une autorité qu’il

  1. L’Armée du Rhin, depuis le 12 août jusqu’au 29 octobre 1870, par le maréchal Bazaine. Paris, 1872 ; Pion.
  2. Épisodes de la guerre de 1870 et le blocus de Metz, par l’ex-maréchal Bazaine. Madrid, 1883 ; Gaspar.