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revenir au camp, puis tout de suite un appel réitéré sur Metz. Trois divisions purent y arriver ; mais les trois quarts de la quatrième, toute la cavalerie, les réserves de l’artillerie et du génie, coupés par l’ennemi, furent contraints de rentrer à Châlons, de sorte que le 6e corps, ainsi qu’un navire désemparé, n’ayant plus tous ses élémens de force, tous ses moyens de résistance, allait, malgré l’énergie de son chef, affronter, dans des conditions inégales, un adversaire armé de toutes pièces et parfaitement outillé.

De Paris cependant les dépêches arrivaient de plus en plus pressantes, impérieuses. Soutenu par la régente, le nouveau ministre de la guerre, comte de Palikao, exigeait ouvertement la déchéance du major-général, son prédécesseur, et même à mots plus couverts, celle de l’empereur, commandant en chef. Le 12 août, « ce fut, dit le général Jarras, une scène lamentable dont je fus le témoin, dans le cabinet du maréchal Le Bœuf, au moment où venait d’arriver la dépêche de l’impératrice. La consternation était peinte sur les visages. L’empereur impassible regardait et attendait. Le maréchal Le Bœuf, atterré, se plaignait amèrement de l’injustice des hommes. Le général Changarnier, qui partageait son temps entre le cabinet de l’empereur et celui du major-général, déplorait la mesure et, sans donner aucun avis sur ce qu’il convenait de faire, cherchait quels pouvaient être les hommes pervers qui, dans les circonstances critiques où nous nous trouvions, avaient frappé ce coup dont, selon lui, la signification était évidemment révolutionnaire. Assurément, l’impérialiste le plus dévoué n’aurait pas parlé avec plus de mépris des membres de l’opposition. Quant à M. Thiers, qu’il déclarait connaître à fond et qu’il a depuis lors plusieurs fois appelé son ami, il ne trouvait pas de termes assez violons pour qualifier son ambition malsaine et son activité révolutionnaire, disait-il. Je ne pouvais pas en croire mes oreilles, mais j’étais loin de prévoir ce que je devais entendre plus tard. »

Le major-général avait envoyé, par un télégramme, en termes très dignes, sa démission à l’impératrice qui lui fit une réponse gracieuse. Dans le même temps, l’empereur abdiqua le commandement de l’armée du Rhin. Le maréchal Bazaine fut nommé général en chef, et on lui donna, sans le consulter, car il n’était pas présent, pour chef d’état-major le général Jarras. « Je n’avais, dit celui-ci, nullement désiré et encore moins recherché ces fonctions. Aussi, au moment où je fus prévenu de la désignation dont je venais d’être l’objet, en présence de l’empereur, du maréchal Le Bœuf, du général Changarnier et du général Lerun, je protestai ; mais on insista et, je dus obéir, n’écoutant que le sentiment du devoir. »