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littérature de notre siècle, je n’en sais pas de plus belles. On trouverait encore, dans ce volume où la plupart des effets puissans ne sont obtenus que par l’accumulation lente et volontaire, d’autres « morceaux » à l’ancienne mode, avec leur beauté ramassée dans un trait, jaillissante d’une seule explosion. Ainsi le passage où M. de Vineuil, apprenant la capitulation, se soulève sur son lit de malade pour briser son épée, et n’y réussit pas, trahi par ses mains tremblantes. La vieille amie qui le veille, Mme Delaherche, comprend son vœu et saisit l’épée. « Elle la brisa d’un coup sec, sur son genou, avec une force extraordinaire, dont elle-même n’aurait pas cru capables ses pauvres mains. Le colonel s’était recouché, et il pleura en regardant sa vieille amie d’un air d’infinie douceur. »

Avec un peu plus de rapidité dans le mouvement, la description de la journée de Sedan serait la bataille idéale, au point de vue de la facture technique ; le roman et l’histoire s’y confondent dans une création imaginaire, faite tout entière de menus détails exacts. Toutes les phases historiques de l’événement passent sous les yeux du lecteur, et cependant l’âme de la bataille palpite et se développe dans ce carré de choux où sont concentrés les personnages du roman. Oui, le voilà bien, avec tout ce qu’on y voyait, ce carré de choux où étaient couchés les hommes du 82e ; et le colonel de Vineuil se comporte de point en point comme son prototype ; car il est impossible qu’on n’ait pas indiqué à M. Zola le modèle d’après lequel il sculpte son héros, le brave colonel Guys. Nous le vîmes de loin, toute la matinée, très haut sur son cheval blanc, entre les lignes des hommes rasés à terre ; seul point de mire pour des centaines de canons et des milliers de fusils, invulnérable, protégé par un enchantement, nous semblait-il ; jusqu’au moment, vers deux heures, où une balle l’arracha de sa selle. — Mais, en vérité, les jugemens littéraires ont ici peu de poids ; je n’ai pas le cœur à m’y abstraire, en revoyant les tableaux évoqués par M. Zola ; et si cet aveu est le meilleur hommage qu’on puisse rendre à la force et à la fidélité de ses évocations, je ne le retire pas.

Puis, la débâcle de la débâcle, le reflux de la marée humaine dans Sedan, la vie sauvage dans la presqu’île d’Iges ; enfin, le charnier, ces ambulances où M. Zola s’attarde longuement, avec une sorte d’ivresse de la douleur physique, une volupté de carabin à voir manier les scies, désarticuler les os, drainer le pus ; avec l’insistance à la fois nécessaire et funeste à son talent ; si bien que ses idées et sa prose nous laissent la sensation des lourdes artilleries qui roulent tout le long de ses pages, par les routes encombrées, et qui auraient passé sur notre corps, sur notre cœur.

La suite du livre, mieux vaut n’en point parler. Le placage est si