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manifeste et si mince, au jugement de tous, que c’est servir l’écrivain de passer cette fin sous silence.

On a comparé le roman militaire de M. Zola à ceux de Stendhal et de Tolstoï. Cela ne pouvait manquer ; et c’était comparer des objets incommensurables. Pour Stendhal, uniquement curieux d’analyses ingénieuses, la bataille n’est qu’un prétexte à développer le caractère de son héros ; ce dilettante s’amuse trop spirituellement à Waterloo pour que nous puissions prendre au tragique ses fines lithographies. Chez Tolstoï, la guerre est observée en elle-même, froidement, par un penseur qui la domine sans entraînement ni épouvante ; et le drame même d’Austerlitz recule au second plan, pour laisser le premier à l’âme du prince André, sous ce grand ciel obscur où le blessé cherche le secret des destinées.

Pour quiconque ne se paie pas de mots et de théories d’emprunt, la vraie nature du talent de M. Zola crève les yeux. Sauf dans les rares momens où il se surveille, afin de justifier quelque aphorisme de ses manifestes littéraires, son tempérament l’emporte. Il reste ce qu’il était à ses débuts, le dernier en date et non le moindre de nos grands poètes romantiques ; un constructeur épique et visionnaire, parfois mieux informé de la réalité que ses aînés, mais tout aussi esclave de son imagination ; l’émule et le très proche parent de Victor Hugo romancier. Qui ne voit la similitude des instincts et des procédés chez les deux cyclopes ? Pour faire un roman, tous deux souillent un énorme symbole, qui enfermera un des aspects de la vie humaine ; ici, la cathédrale de Notre-Dame de Paris, le vaisseau des Travailleurs de la mer ; là, le cabaret de l’Assommoir, la mine de Germinal, la locomotive de la Bête humaine, l’armée de la Débâcle, et tant d’autres. Ce monstre vit d’une vie intense, aux dépens des créatures humaines qu’on loge dans ses flancs, et qui ne sont en quelque sorte que ses appendices. Rien de commun entre ces êtres, créés pour servir la fantaisie du poète, et l’homme que d’autres romanciers choisissent dans la foule, pour le placer en observation et étudier la libre expansion de son caractère. Les personnages de Victor Hugo et de M. Zola sont des signes algébriques, très fidèles en somme à la tradition classique, où l’Avare, l’Envieux, le Jaloux étaient uniquement chargés de traduire une passion. Nos poètes inventent et numérotent une certaine quantité de ces signes, autant qu’il leur en faut pour représenter les durerons types dont se compose, à leur idée, tel milieu social à tel moment donné. Il en faudra tant pour représenter les divers aspects pittoresques du moyen âge, dans Notre-Dame ; tant, pour la juxtaposition des principales catégories de misérables dans la société moderne ; tant, pour se partager les penchans et les vices