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travail, et de l’avoir méritée aux dépens de ceux qui dormaient, durant ces journées, dans leur folie insouciante. On peut dire tout cela maintenant ; grâce au ciel, si l’on appliquait de nouveau le dynamomètre aux deux forces antagonistes, tout permet de croire qu’il donnerait aujourd’hui d’autres indications. Le bonheur et ses suites ont entamé, ce semble, l’énergie neuve qui était à son maximum de tension en 1870. L’énergie abattue chez nous s’est relevée. Elle se relèvera d’autant plus qu’on lui fera mieux mesurer ses défaillances de jadis, qu’on lui fera mieux apprécier des mérites et des exemples toujours admirables pour l’homme, alors même que sa chair sert à la démonstration. — « Ces cochons de Prussiens, » comme disent à chaque page les créatures de M. Zola, « ces petits soldats de plomb, » j’eusse voulu qu’il les grandît : par là même il nous eut moins rapetisses.

Car il la rapetisse, ou plutôt il l’avilit trop, cette malheureuse France d’alors ; et ce sera ma seconde objection. Eh ! quoi ? A part quelques Vineuils impuissans, tous furent ignorans, frivoles, corrompus, vantards ou brutes ? Tous Rougon, tous Macquart ! Même pour cette pauvre armée de Sedan, agglomération de hasard, sans cohésion, rabattue du Rhin à la Meuse par la panique, même pour elle, le verdict du romancier est trop général. « Si l’on avait su les mener, on leur aurait fait manger des canons, » disaient les vieux officiers. M. Zola n’exagère pas, j’en ai déjà témoigné, quand il peint la prostration, la démoralisation de la troupe, la grossièreté de mœurs et de propos habituelle aux soldats. Mais la prostration avait des intermittences. La gaîté élastique du tempérament national reprenait parfois le dessus ; non pas cette gaîté lugubre, plus douloureuse que des larmes, qui inspire leurs farces cyniques à toutes les créatures du roman ; mais la jovialité fine de la race. J’entends encore, dans un repli du bois de la Garenne, un ami bien cher, sous-lieutenant aux chasseurs d’Afrique, rejoignant la colonne de prisonniers qu’on formait là, avec l’officier prussien auquel il avait dû remettre son épée. Au fond du vallon abrité, un cantonnier, la pipe aux dents, continuait de casser ses pierres au bruit du canon. Le Français montra gravement cet homme au Prussien : « Nous ne sommes pas finis, monsieur ; admirez comme notre corps des ponts et chaussées « des agens dévoués ! » — Le Germain, entendant mal la plaisanterie, s’inclina cérémonieusement. Les auditeurs ne purent s’empêcher de sourire, dans l’instant de leur vie où ils en avaient certes le moins de sujet et de désir. Cela pourra paraître étrange. Pourtant, cet officier avait raison d’employer tous les moyens pour relever le moral d’hommes atterrés ; en agissant ainsi, il faisait encore son devoir de chef.

La grossièreté du soldat a ses éclaircies, elle réserve des