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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/52

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où eux-mêmes ont cessé de pouvoir avancer ; mais on a peu de documens qui permettent d’observer ces luttes domestiques au XVIIIe siècle, dans la classe moyenne, surtout avec les facilités et les détails que nous offre la famille Goethe.

Dans les relations où il était avec son père, le frère ne pouvait rien pour sa sœur, sinon recevoir ses confidences. Il avait d’ailleurs d’autres préoccupations. Gretchen avait été plusieurs fois remplacée. Cornélie se sentait négligée. Si j’ai réussi à faire comprendre si peu que ce soit cette âme fermée et tragique, on la plaindra. En 1772, « la solitude lui parut insupportable » pendant que Goethe, à Wetzlar, faisait la cour à sa Charlotte et vivait les scènes riantes du début de Werther. Dans son désespoir, Cornélie eut l’imprudence d’accepter la revanche que lui offrit inopinément la destinée. Un galant homme appelé George Schlosser, très laid, mais instruit et distingué, s’éprit d’elle, et la demanda en mariage « à des conditions si raisonnables, » que l’économe M. Goethe la lui donna des deux mains. Cornélie n’aimait pas Schlosser. L’objection ne comptait pas pour elle, qui n’avait de tendresse à donner à personne, sauf à l’absent qui la délaissait. Elle accepta Schlosser, et fut punie d’avoir voulu tromper un cœur où la tendresse fraternelle la plus pure, mais la plus exclusive, n’avait laissé aucune place pour d’autres affections.

Elle se maria le 1er novembre 1773 et suivit son époux vers la petite ville où l’appelaient ses fonctions. Un rayon de soleil éclaira pendant quelques semaines sa mélancolique existence, Cornélie s’abandonnait à la douceur d’être aimée et s’épanouissait. Le 13 décembre, elle écrivait à une amie : « Je sens par ce que j’éprouve que vous êtes heureuse. Toutes mes espérances, tous mes désirs, sont non-seulement remplis, mais surpassés — de beaucoup. Dieu donne un époux semblable à celles qu’il aime. » Ces derniers mots sont une citation d’une pièce de son frère. Elle continue : « Mon frère n’a pas pu nous accompagner. Je l’aurais souhaité pour lui et pour moi. Nous étions, à tous égards, étroitement unis, — et c’est son éloignement qui m’est le plus sensible. » Il est rare, et de mauvais augure, de regretter la présence d’un frère pendant un voyage de noce. Une seconde lettre, du 29 janvier suivant, est déjà d’un ton d’abattement, et les nouvelles du jeune ménage ne tardent pas à devenir lamentables. Il ne s’était rien passé de ce que le monde appelle des événemens. Cornélie avait seulement reconnu qu’elle avait commis une erreur en se mariant, et qu’il est inutile, quand on est né brouillé avec le bonheur, d’essayer de se raccommoder avec lui. La naissance d’un enfant ne la réconcilia pas avec l’existence. Elle souffrit beaucoup, fit