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— des Russes principalement dont le général, l’illustre Souvarow, se couvrait de gloire en battant Moreau à Cassano, Macdonald à la Trebbia, Joubert et ses lieutenans à Novi. Maury, dans ses dépêches, enregistre avec joie ces défaites. A Mittau, on croyait fermement à une restauration prochaine.

Le malheureux pape Pie VI, qui avait été emmené de Toscane en France, mourut à Valence le 29 août 1799. Où se tiendrait le conclave ? C’est la première question qui se posa quand parvint la triste nouvelle aux cardinaux réfugiés en assez grand nombre à Venise. A Rome, les esprits étaient trop troublés pour qu’on y pût trouver le calme et la sécurité nécessaires. La majorité du sacré-collège opinait pour Venise, si l’empereur agréait ce choix et voulait bien assurer le conclave de sa protection. C’est de cette ville que partit l’avis officiel de la vacance du saint-siège, adressé à tous les gouvernemens par le sacré-collège. Maury obtint que l’on observât à l’égard de l’exilé de Mittau les formes suivies quand la mort du pape Innocent X fut annoncée à Louis XIV. Ce fut une grande joie pour le comte de Provence, qui répondit également selon le protocole solennel de la cour de Versailles. En attendant l’arrivée des cardinaux étrangers, Maury continue d’envoyer à Mittau les renseignemens qu’il peut recueillir et ses propres observations. « Les brillans succès du maréchal Souvarow en Suisse, écrit-il le 19 octobre, et des Anglo-Russes en Hollande, nous combleraient de la joie la plus pure, si elle n’était tempérée par les pertes trop déplorables de l’illustre et malheureuse armée de Condé à Constance… Il est affreux de ne voir reculer que pied à pied ces imbéciles fanatiques qui arrivent enchaînés aux champs de bataille, et dont la valeur personnelle oublie sitôt les conscriptions forcées qui sont pour eux des proscriptions. Mon espoir est qu’ils cesseront d’être d’aveugles machines à feu sur le sol de France. La réaction de l’opinion publique ne se fera sentir que dans leurs loyers, et on ne verra qu’alors deux partis aux prises l’un contre l’autre. » Il est permis de se demander si Maury était sincère en parlant de ces soldats arrivant enchaînés sur le champ de bataille. Qu’à Mittau, en Courlande, on crût à de pareilles légendes, ce serait assez vraisemblable ; mais à Venise, si près du théâtre de la guerre, était-ce possible ? Il est plus probable que le cardinal ne voulait pas être en reste de flatteries avec son roi. Pourtant cet espoir d’invasion et de guerre civile, qui lui cause une joie si pure, est quelque peu troublé par une sinistre rumeur qui se répand tout à coup en Italie. « On a débité, dit-il, sur la loi de je ne sais quel corsaire, que le général Bonaparte s’est sauvé d’Egypte et qu’il venait d’arriver en Corse. Personne ne croit à cette nouvelle, qui ne manquerait pas d’avoir un tout autre caractère de certitude et même