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d’évidence, si elle avait quelque fondement (sic). » Mais la rumeur persiste. « On me confirme l’arrivée de Bonaparte en France, écrit-il, le 2 novembre, Dieu veuille que ce soit un faux bruit. » Et il ajoute, le 9 : « Personne ne doute plus du retour de Bonaparte. C’est un homme dangereux : mais la Providence a ses desseins et il faut attendre que les événemens nous les expliquent. »

Cependant les cardinaux retardataires arrivaient. L’empereur François avait autorisé la tenue du conclave à Venise. Les préparatifs s’achevaient. Tous les voyageurs qui ont visité l’antique cité ont remarqué, du coin du palais des doges, de l’autre côté du grand canal, le noble et élégant profil de la coupole de San Giorgio Maggiore. L’église, œuvre de Palladio, est l’une des plus belles de Venise. C’est dans l’ex-couvent de Saint-George, aujourd’hui caserne d’artillerie, que s’enfermèrent les cardinaux pour élire le successeur de Pie VI. À l’ouverture du conclave, Maury n’avait pas reçu de nouvelles instructions, mais il ne paraît pas embarrassé pour cela. « N’ayant pas reçu d’ordre de Votre Majesté, écrit-il au comte de Provence, je ne crois pas pouvoir mieux la servir qu’en favorisant par tous mes moyens l’élection de celui qui a eu l’honneur de correspondre trois fois avec elle dans le cours de l’année. » Et il ajoute simplement : « C’est, à mon avis, le meilleur choix que nous puissions faire ; mais on ne saurait se donner à soi-même aucune assurance dans de pareils futurs contingens. » Si Maury crut sérieusement à la possibilité de ceindre la tiare, son illusion ne fut pas de longue durée. Jamais son nom ne fut mis aux voix dans les scrutins du couvent de Saint-George. Les cardinaux étaient déjà réunis depuis quelques jours, quand ils furent rejoints par le cardinal Herzan, ayant le secret de l’empereur. On apprit alors que ce prince entendait, comme on devait s’y attendre, profiter autant que possible de la circonstance imprévue qui plaçait le conclave sous la garde de ses baïonnettes. Il voulait, au dire d’Herzan, un pape à sa convenance : mais point n’était besoin, dans sa pensée, de choisir un homme de talent, car « on emprunte aisément des lumières à Rome. » La chancellerie impériale portait en première ligne le cardinal Mattei, en seconde ligne le cardinal Valensi. La cour d’Espagne accordait, au contraire, ses préférences à Valensi et agréait subsidiairement le choix de Mattei. Cela n’était pas pour arranger les choses. On commença par se compter sur le nom du cardinal Bellinsomi. Comme il ne lui manquait que deux ou trois voix pour atteindre la majorité requise des deux tiers, la faction d’Autriche prit peur. Herzan annonça qu’il allait envoyer un courrier à Vienne pour solliciter en faveur de Bellinsomi l’agrément de l’empereur François. C’était un prétexte pour gagner du temps. Et pendant que le courrier courait la poste, Herzan nouait