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monsieur plus conforme aux traditions égalitaires de la compagnie. Mais Maury tenait énergiquement pour monseigneur. « Si je m’appelais Montmorency, je me moquerais de vous, disait-il à Regnault de Saint-Jean-d’Angely ; mais mon talent seul me porte à l’Académie et si je vous cédais sur le monseigneur, le lendemain vous me traiteriez en camarade. » « M. Regnault, ajoute Mme de Rémusat, à qui nous avons emprunté ce trait, M. Regnault rappelait qu’une seule fois l’Académie avait cédé à l’usage du monseigneur et que ce fut à l’égard du cardinal Dubois, qui fut reçu par Fontenelle. Mais, ajoutait-il, les temps sont bien changés. J’avoue qu’en regardant le cardinal Maury j’osais penser un peu que les hommes ne l’étaient pas beaucoup. » L’affaire alla jusqu’à l’empereur. Napoléon connaissait les hommes. Il s’entendait à discerner ceux qui pouvaient le servir et à tirer d’eux le maximum d’utilité qu’il en pouvait attendre. Sachant que les mécontens sont de mauvais auxiliaires, il s’appliquait à satisfaire ceux qu’il avait distingués. Maury, qui était peut-être avec Fesch l’homme le plus en vue du sacré-collège, n’était pas une personnalité négligeable. Pourquoi manquer une occasion de lui être agréable à peu de frais, en le flattant dans sa vanité ? Napoléon donna raison aux prétentions du cardinal, pour se l’attacher plus sûrement. Le jour de sa réception solennelle, l’académicien réélu fût traité de monseigneur par son confrère l’abbé Sicard, qui, on le pense bien, ne fut pas plus avare d’éloges que ne l’avait été jadis le duc de Nivernais. L’infatuation de Maury n’eût plus de bornes. Il suait l’orgueil. C’est vers ce temps qu’un académicien lui ayant demandé ce qu’il croyait valoir pour affecter à l’Institut de telles allures de supériorité, il répondit avec une superbe impertinence : « Bien peu quand je me considère, beaucoup quand je me compare. »

La solution donnée à cet incident académique, en même temps qu’elle mettait plus que jamais en relief la personne du cardinal Maury, avait poussé jusqu’au fanatisme son admiration pour l’empereur. L’éclat de la couronne impériale l’éblouissait au point que toute opposition aux volontés du maître lui paraissait une chose criminelle et monstrueuse. Il n’y avait guère en 1808, sur le continent européen, qu’un homme qui tînt tête à Napoléon : c’était Pie VII. La noble attitude du souverain pontife, qui fait l’admiration de l’histoire, était, aux yeux de l’évêque de Montefiascone, pure démence. « C’est Rome elle-même qui se jette par la fenêtre, écrit-il à son frère, et elle seule pourra s’en préserver (sic) en accordant les choses raisonnables et très supportables qu’on lui demande… Je suis confondu d’étonnement et navré de la plus profonde douleur en voyant les Romains si arriérés en politique.