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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/605

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dispensaient les gens en faveur d’acquitter les dettes valablement contractées. Que de fois les prêteurs se plaignent de ces « lettres de répit, la plus belle monnaie, disent-ils, dont on les paie journellement ! » Et n’est-on pas en droit de penser que cette atteinte arbitraire à l’exécution des engagemens particuliers a dû préjudicier jadis, dans une mesure inappréciable, à la confiance et au crédit général ?


IV

L’histoire de l’argent, sous ses diverses formes et dans ses manifestations variées, telle que j’ai essayé de la faire succinctement pour les six siècles qui ont précédé le nôtre, conduit à cette conclusion, déjà indiquée dans des articles précédens, mais qu’il est nécessaire de mettre en pleine lumière : mathématiquement, par la force des choses, toutes les fortunes mobilières du moyen âge sont détruites, disparues, tombées en poussière. Il n’en subsiste pas une seule. Quant à celles des temps modernes, elles sont tellement atteintes, que les riches des XVIIe et XVIIIe siècles ont à peine aujourd’hui une modeste aisance, et que ceux qui jouissaient alors de cette aisance modeste ne sauraient plus vivre sans travailler.

Il suffit, pour s’en convaincre, de mesurer depuis mille ans l’amincissement, on pourrait dire la volatilisation, d’un capital déterminé, sous la triple action combinée de la diminution de valeur marchande, et, par conséquent, du pouvoir d’achat, des métaux précieux, de la dépréciation de la monnaie de compte qui, tout en conservant son nom de « livre, » signifie une quantité de plus en plus petite d’or ou d’argent, de la baisse du taux de l’intérêt enfin, puisqu’on ne vit pas avec le capital de son bien, mais avec l’intérêt annuel que l’on retire de ce capital. Il n’y a pas à s’occuper du propriétaire mobilier de jadis qui n’aurait tiré aucun revenu de son capital, parce que ce capital-là est mangé depuis des siècles.

Mille livres, à la mort de Charlemagne, valaient intrinsèquement 81,000 francs, qui, ayant un pouvoir neuf fois plus grand que les nôtres, en adoptant les calculs de Guérard, correspondent effectivement à 729,000 francs, produisant, à 10 pour 100, un intérêt annuel de 72,900 francs. Ne nous arrêtons pas à ces temps obscurs sur lesquels les renseignemens, jusqu’à plus amples recherches, demeurent trop rares, et, par suite, les affirmations trop hasardées.

Sautons les quatre siècles qui séparent la mort de Charlemagne de l’avènement de saint Louis : nos 1,000 livres ne contiennent plus que 21,770 francs d’argent de 1225, équivalant à 98,000 francs