Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/612

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1600 à 1650 de l’état de tenancier à celui de marchand, homme de loi, capitaine et gentilhomme. Lorsque des lettres-patentes de Louis XIII, en faveur des bourgeois de Sens, ou de Langres, les confirmaient, — ils en jouissaient régulièrement depuis Charles VII, — dans le droit de posséder des terres nobles, sans payer aucun impôt, le même M privilège » avait été concédé aux bourgeois de toute la France, ou à peu près. On le voit, lors des « dénombremens » officiels des fiefs, faits par l’administration.

A Nîmes, à la fin du XVIe siècle, l’un des fils d’un tondeur de drap devient baron du Cailar, et son frère, seigneur de Saint-Jean-de-Gardonnenque ; le fils d’un tailleur d’Avignon achète en 1615 les seigneuries de noble J. de Brignon. Un contrat de 1523 constate que Guy du Fardeau, homme-serf, est propriétaire d’une pièce de terre du nom de la Rochette (près Semur, dans la Côte-d’Or) ; dix ans plus tard ce du Fardeau, marié à une femme franche, est affranchi lui-même du servage, par son seigneur, qui veut ainsi « lui donner moyen d’avancer ses enfans, ce qu’il ne saurait faire, restant serf. » Autour de sa maison, cet ancien « homme de corps » groupe un domaine, creuse un étang, plante des vergers ; il jouit des mêmes droits que les « francs-bourgeois et habitans de Dijon. » En 1570, la famille du Fardeau a grandi ; le fils de Guy est qualifié d’écuyer, homme d’armes, seigneur de Sauvigny ; il est riche. Le fils du serf traite d’égal à égal avec son suzerain, Gui de Rabutin, le grand-père de Mme de Sévigné. Celui-ci s’est seulement réservé le droit de justice. En 1610, le petit-fils de Du Fardeau, qui s’appelle Hugues de Montbezon, achète enfin ce droit de justice qui lui manquait ; ses enfans ont des charges militaires, c’est un gentilhomme.

Remontons plus haut ; prenons la liste des hommes d’armes qui paraissent aux « monstres » ou revues, aux diverses dates de notre histoire ; consultons les cartulaires des abbayes, mines précieuses de documens en ce genre, nous verrons disparaître à chaque siècle des quantités de noms, que remplacent, aux siècles suivans, d’autres noms sortis de l’obscurité. A Bordeaux, sur la fin du XIVe siècle, un notaire, Bernard Angevin, devenait « noble et puissant seigneur, chevalier de Lesparre, Tyran, etc. » Dans le nord les désastres de Poitiers, d’Azincourt, dans tout le royaume, les dévastations de la guerre de cent ans révolutionnèrent la fortune privée et l’état social, en détruisant les choses (châteaux, moulins, etc.), et les droits attachés à ces choses, et les gens qui les possédaient.

Une partie de la « classe dirigeante » d’alors disparut par fer, ruine, émigration. Les vides furent remplis par des familles