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3 millions de francs de rente ; en Angleterre, d’après l’income-tax, le plus gros revenu mobilier n’est que de 3 millions et demi de francs, tandis que le plus gros capital foncier, celui du duc de Norfolk, atteint 225 millions. Ce sont de jolis deniers ; mais en doublant, en quadruplant même les fortunes mobilières ci-dessus, fortunes de banquiers pour la plupart, dont la dissimulation a pu être extrêmement aisée, elles restent encore bien en deçà de ce qu’on croit communément.

En France, le particulier le plus riche de la seconde moitié du XIXe siècle a été le baron James de Rothschild, chef de la maison de banque qui porte son nom. La fortune des Rothschild demeurera proverbiale, dans les siècles à venir, comme sont demeurées célèbres celles des Salimberni, de Sienne, qui faisaient le commerce de l’argent au XIIIe siècle, exploitaient des mines de métaux précieux, vendaient, dans de nombreux magasins situés en diverses villes, une foule d’objets et d’étoffes en gros et en détail ; celle de Philpot, armateur de Londres sous Richard II, au XIVe siècle, qui s’emparait en un jour de quinze vaisseaux espagnols, et, à la même époque, celles de Renier Flamand, d’Enguerrand de Marigny, de Mâche des Mâches (Machius des Machis), et de Pierre Remy, général des finances, pendus tous les quatre à tour de rôle, le dernier laissant à sa mort 1,200,000 livres, ou 52 millions de francs d’aujourd’hui. Elle sera fameuse comme, au XVe siècle, celles du surintendant Montaigu et de Jacques Cœur, au XVIe, celles du chancelier du Prat, de Fugger, banquier de Charles-Quint et d’Henri VIII ; ou, dans les temps modernes, celles de Montauron, de Lambert, de Mazarin, de Samuel Bernard ou des frères Paris ; comme l’ont été enfin, sous Napoléon et Louis XVIII, celles d’Ouvrard et de Laffitte.

Tous ces noms opulens, qui n’ont laissé que le souvenir de leur opulence, montrent que la richesse, pour être plus héréditaire que le génie, n’en est pas moins précaire, elle aussi, sujette à se dissoudre et très difficile à conserver. Par ce que sont devenues les fortunes anciennes, on peut augurer de ce que deviendront les fortunes présentes dans l’avenir. Les anarchistes, qui voudraient rendre la propriété viagère, peuvent se consoler en réfléchissant qu’elle ne résiste que très exceptionnellement pendant une longue suite de générations.


VI

Le type de la richesse la plus extrême à laquelle il ait été donné à une personne privée de parvenir, M. James de Rothschild,