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l’avilissement des salaires, ruinaient les ménages ouvriers ? Il était temps que ceux-ci fussent protégés, car ces manœuvres frisaient le scandale et il fallait y mettre un terme.

Conflit singulier où des principes séculaires sont reniés, battus en brèche ! Il dure encore et peut-être se prolongera-t-il aussi longtemps qu’on n’interdira pas aux indigens de tous pays le territoire de la Grande-Bretagne. On a devant soi l’exemple des États-Unis et il encourage. La loi rigoureuse que le congrès américain votait, le 3 mars 1891, semble à certains écrivains le dernier mot de la raison politique. Il en coûtera au gouvernement de la reine, quel qu’il soit, d’en préparer ou d’en appuyer une semblable et d’élever pour la première fois des barrières à l’entrée du sol britannique.


I

La chambre des communes n’avait pas été la dernière à se préoccuper de la situation économique des quartiers ouvriers de Londres et des cités industrielles. Elle s’était alarmée des difficultés grandissantes que créait à quelques catégories de travailleurs nationaux l’abondance de la main-d’œuvre étrangère. Elle n’ignorait pas que des intermédiaires sans scrupules mettaient les immigrés en coupe réglée et exploitaient à outrance leur pauvreté. Il y avait là, depuis des années, une question tout à fait mûre qu’on désignait d’une appellation spéciale. Le régime auquel une foule de malheureux se trouvaient soumis était connu sous le nom de sweating System, expression énergique dont la concision peut être difficilement rendue en français. Le peuple, dans son langage familier, en donnait une idée assez précise en comparant l’ouvrier pris à la gorge par l’exploiteur à un citron dont deux mains robustes presseraient incessamment l’écorce et ne s’arrêteraient d’exprimer le jus, c’est-à-dire la vie, que lorsqu’il n’en resterait plus une goutte dans l’enveloppe flétrie et déchiquetée. On s’entretenait si ouvertement des intolérables abus dont certains patrons se rendaient coupables, on citait avec un tel luxe de détails d’horribles cas de rapacité et de barbarie, qu’il fallut bien que l’administration intervînt. En septembre 1887, le Board of trade (direction du commerce) invitait l’un de ses rédacteurs à lui adresser un rapport ; presque en même temps, à la demande de lord Dunraven, la chambre haute procédait à une vaste enquête, au cours de laquelle les représentans des métiers apportèrent à la commission élue leurs dépositions et leurs doléances. Ce fut comme une sorte de flambeau qui perça l’ombre, fouilla les ténèbres, éclaira d’une lumière crue les pratiques louches, les iniquités de quelques-uns. De quoi donc