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s’agissait-il ? qu’étaient-ce, en somme, que ces contrats léonins imposés à des étrangers, le plus souvent chargés de famille, par l’impitoyable sweater ou entrepreneur à forfait ? En quoi des arrangemens, librement consentis après tout, pouvaient-ils nuire aux intérêts du prolétariat indigène ? Voici : on découvrait l’existence d’un système très ingénieux qui permettait à des individus, sous-contractans eux-mêmes, de repasser à d’autres sous-contractans la tâche qu’ils avaient acceptée. Leur bénéfice consistait dans la différence entre le prix qu’ils touchaient et les conditions nécessairement inférieures auxquelles ils cédaient le travail. Quant au dernier, à celui qui se trouvait au bas de l’échelle, c’est sur l’ouvrier qu’il prélevait directement son profit. Celui-ci ne recevant l’ouvrage que de cinquième ou sixième main, on voit à quel taux dérisoire pouvaient descendre ses salaires.

Peut-être nous ferons-nous mieux comprendre en allant au fond des choses et en étudiant, d’aussi près que possible, l’œuvre patiente accomplie par les enquêteurs. Tout d’abord, on constatait que si l’armée des sweaters était innombrable, elle ne s’attaquait pas indistinctement à tous les métiers ; elle désorganisait, de préférence, ceux qui se prêtaient le mieux à la division du travail, par exemple la profession de tailleur que choisissent, presque toujours, les israélites débarqués à Londres. L’origine des pratiques funestes dont ces immigrés étaient les victimes remontait, d’ailleurs, à un demi-siècle ; déjà, il y a cinquante ans, les livres, les journaux, les conférenciers signalaient l’apparition du mal et en dénonçaient la gravité. Mais qui s’occupait, en 1840, des questions sociales, ou, du moins, qui pouvait prévoir qu’aux approches de l’an 1900, elles prendraient, dans les délibérations des assemblées, une place aussi importante ? Rappelons ce qui se passait à cette époque. L’ouvrier d’alors jouissait de la faculté d’emporter de l’ouvrage à domicile, d’y travailler pendant le jour, et, le soir, d’achever paisiblement sa besogne au coin de l’âtre, aidé, s’il en était besoin, par sa femme ou par ses enfans. Il y avait là, pour les deux parties, des avantages évidens. Le patron ne grevait pas ses frais généraux de la location d’ateliers coûteux et que la législation moderne l’oblige, justement du reste, à entretenir en état de salubrité. Il était affranchi de la nécessité de surveiller ses hommes ; ceux-ci restaient les maîtres de leur temps et de leurs méthodes, rémunérés qu’ils étaient non à la journée, mais à la pièce. D’autre part, l’artisan se sentait plus libre et son indépendance n’avait d’autre limite que le terme même qui lui était assigné pour la remise de sa tâche. Bien plus, rien ne l’empêchait, lorsque ses forces y suffisaient, d’accepter de plusieurs entrepreneurs une coupe ou une façon et aussi