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soient empreints du caractère d’exactitude qui leur avait, jusqu’à présent, fait défaut, quelle est la constatation qui s’en dégage ? Du 1er janvier au 31 décembre 1891, 131,565 individus des deux sexes, entièrement dénués de ressources, se sont présentés à l’entrée des ports anglais. Sur le nombre, il est vrai de le dire, il n’y en avait pas moins de 98,423 qui, aux questions des agens de service préposés au débarquement, avaient répondu qu’ils se dirigeaient sur l’Amérique ; 38,142 seulement s’étaient déclarés rendus à destination. De ceux-ci, on peut croire qu’ils sont restés, pour la plupart, en Angleterre, et que bien peu sont retournés dans leur contrée d’origine. Quant aux autres, ils avaient bien, au contrôle d’arrivée, annoncé leur intention de traverser l’Atlantique, mais il est permis de se demander s’ils ont tous, sans exception, donné suite à leur projet, ou si les rigueurs de la législation américaine, en contraignant les plus pauvres à repasser les mers, ne les ont pas jetés de nouveau sur le sol britannique d’où l’épuisement et la misère ne leur ont plus permis de s’éloigner.

Aux partisans de l’immigration libre, aux écrivains qui ont gardé le culte du passé et qui rappellent ce que la Grande-Bretagne doit de prospérité et de richesses aux artisans qui s’y fixèrent, les alarmistes ripostent par des argumens appuyés de chiffres. Ils ne sont pas à court de raisons. Comment une politique que les États-Unis ont jugée nuisible et dangereuse pour eux-mêmes, — alors que le territoire de la république est immense et que tant de vastes espaces en sont encore inhabités, — comment une semblable politique pourrait-elle être de quelque profit à une nation comme la leur, où pas un pouce de terrain n’est abandonné et dont la population s’accroît chaque année de plus de 300,000 âmes ? Ne sait-on pas, d’ailleurs, que le pays suffit de moins en moins à nourrir la multitude qui s’y presse ? En 1891, sur les 29 millions d’habitans de l’Angleterre et du pays des Galles (England and Wales), 641,000 étaient à la charge des institutions officielles de charité, c’est-à-dire une moyenne légèrement supérieure à 22 pour 1000. D’autre part, le recensement de 1881 évaluait la population de Londres à 3,816,483 personnes pour l’inner London ; or le dénombrement qui a eu lieu au printemps de 1891 a élevé ce chiffre à 4,211,056, soit, pendant la période décennale, une augmentation de 394,575 individus, ou 10 pour 100. Quant aux faubourgs faisant partie de ce qu’on nomme l’outer ring, ils ne comptaient, en 1881, que 950,178 résidens ; ils en renferment aujourd’hui, — ainsi que l’ont démontré les statistiques, — 1,422,276 ou 472,098 de plus qu’il y a dix ans. Réunis, l’inner et l’outer ring qui forment le greater London comprennent, total effrayant, une agglomération