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habitans du nord l’art si noble de forger l’épée. Des Hollandais, Yarmouth apprend à conserver le hareng, cet aliment fondamental des navigateurs de la côte. Mais après la révocation de l’édit de Nantes, comme le mouvement se développe ! 150,000 travailleurs français débarquent des bords de la Loire, fuyant en hâte leur ville natale, Amiens, Doullens, Abbeville, manne féconde qui rend à l’Angleterre la liberté de ses ressources, car c’est désormais aux siens qu’elle s’adressera et son or n’enrichira plus les nations rivales. A cet égard, rien ne fut plus important pour la Grande-Bretagne que l’installation sur son sol des ouvriers de Lyon et de Tours qui s’établirent à Spitalfields. Ils apportaient avec eux la connaissance approfondie de l’industrie de la soie. En même temps, l’Irlande bénéficiait de la science des réfugiés. N’est-ce pas aux huguenots seuls qu’elle est redevable de la meilleure méthode de cultiver le lin, de confectionner la toile, et ce produit spécial connu sous le nom de popeline irlandaise ? Bornons là l’énumération, aussi bien pourrait-elle être infinie. Peut-être aurions-nous pu dire un mot des services d’ordre militaire ou politique que les immigrés ont rendus à la terre où ils abordaient, mais la digression serait longue et nous entraînerait hors des cadres de ce sujet.

Chose étrange ! dans les pamphlets, les brochures, les livres, d’où partent les attaques les plus virulentes contre l’indifférence en matière d’immigration, on reconnaît volontiers que jadis on tira profit de ses enseignemens et de sa présence. On se plaît à rappeler l’essor qu’imprimèrent tant d’hommes instruits à l’accroissement de la fortune publique. Puis, cette concession accordée, ce témoignage de reconnaissance rendu, pour la forme, au passé, on trace la ligne qui séparera ce qui lut utile et bon, et ce qui ne l’est plus, ne le deviendra jamais et ne sera pour le pays qu’une source d’embarras et de faiblesse. Il n’y a aucune comparaison à faire, cela est évident, entre aujourd’hui et hier, c’est-à-dire entre l’étranger sans feu ni lieu, sans profession déterminée, et l’artisan de métier qui fut civilisateur d’une race longtemps prisonnière de ses origines. Mais naguère on n’eût pas choisi et il faut croire, en effet, qu’il s’agit bien d’un bouleversement des esprits et des doctrines, puisque de plusieurs côtés, comme autant de fusées dans un ciel troublé, montent des signes éclatans d’inquiétude et d’agitation. L’heure des évolutions paraît proche. Des plans s’organisent et voient le jour qui eussent autrefois fait sourire. L’un des politiciens les plus en vue du parti libéral unionniste, M. Chamberlain, cherche à entraîner le gouvernement dans une voie où personne n’avait encore songé à s’engager. Un projet de pension pour les ouvriers avec le concours et l’intervention pécuniaire de l’État,