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voilà une conception qui ne ressemble à rien de ce qui s’est dit, écrit, élaboré jusqu’à présent en Angleterre. Qu’un jeune homme, à vingt-cinq ans, confie cinq souverains d’or à la caisse officielle, qu’il continue d’y verser annuellement une livre sterling pendant quarante années, et à soixante-cinq ans le budget lui garantira un revenu de cinq schellings par semaine, pendant le reste de ses jours. Soit, la combinaison n’est guère attrayante et ce n’est pas un appât aussi maigre qui poussera le travailleur anglais à l’économie, vertu qu’il ne connaît que de nom. Les sociétés de secours mutuels (friendly societies) lui offriraient bien d’autres avantages. Mais on a glosé à perte de vue sur les inconvéniens et les mérites de cette tentative retentissante. Le journalisme et les revues s’en sont emparés. Quelques-uns l’ont exaltée, plusieurs en ont dénigré moins peut-être le mécanisme que les tendances. Au fait, qu’est-ce que donc que l’appui financier de l’État, sinon la force qu’il tire de l’argent des contribuables sans lequel le trésor est vide ? Ainsi l’assuré, un imposé lui aussi, constituerait de ses propres mains la rente qui lui serait servie dans sa vieillesse.

Il ne faut plus s’étonner de rien. La vieille cité du libéralisme et du free trade, Manchester, attaque sans merci les principes qui firent sa gloire. On se demande ce que dirait Cobden s’il avait pu assister à certaine réunion qui se tenait dans la célèbre ville manufacturière, il n’y a pas plus de quelques semaines. La chambre de commerce ouvrait ses locaux à une assemblée où se pressaient des personnages importans, négocians, industriels, membres du parlement britannique. Une société, l’Union commerciale de l’empire, allait exposer ses théories et comment elle envisageait l’avenir, au regard des intérêts du pays. Tout de suite, sans le moindre préambule oratoire, un député, M. James Lowther, rappelait que l’association avait pour effet de rendre au royaume-uni sa liberté fiscale et de l’affranchir de la servitude où les traités conclus autrefois avec le Zollverein allemand et la Belgique l’avaient placé. Selon lui, ces conventions importunes barraient la route à toutes négociations ultérieures avec le domaine colonial anglais, alors qu’il eût été indispensable d’en conclure. Sans doute, il y a cinquante ans, on n’avait pas prévu que des nécessités de ce genre pussent se produire. Peut-être le langage de Cobden était-il, en effet, approprié à l’époque où il vivait. Mais parce qu’elles étaient vieilles d’un demi-siècle, les opinions de cet économiste perdaient de leur valeur, ne présentaient plus qu’un intérêt historique. Il convenait d’être de son temps. Il fallait déterminer, avec une précision d’hommes pratiques, ce que réclamait la nation. Autour de soi, que voyait-on ? A l’exception de l’Angleterre, un univers entièrement