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sur Grover Cleveland, le vainqueur et le vaincu de la grande lutte de 1888 allaient se retrouver en présence. Harrison, bien que n’ayant alors réuni que 5,440,531 voix contre 5,538,434 données à Cleveland, l’avait emporté, ayant pour lui 20 États, représentant 233 votes électoraux, alors que Cleveland n’en ralliait que 18 disposant de 168 votes.

Depuis plusieurs jours les délégués démocrates de tous les États de l’Union affluaient à Chicago ; tous les journaux y étaient représentés et l’armée des politiciens s’y trouvait au complet. Ce n’était encore que le prologue de la partie décisive qui devait se jouer en novembre, ramener les démocrates au pouvoir ou y maintenir les républicains ; mais, du choix fait par la convention démocratique, de l’homme qu’elle désignerait pour l’opposer à Harrison pouvaient dépendre le succès de la campagne, une orientation nouvelle donnée à la politique intérieure et extérieure des États-Unis, un changement radical du régime économique. Les financiers n’étaient pas moins nombreux que les politiciens à Chicago ; appréciations et suppositions variaient à l’infini.

Nul doute qu’un vigoureux effort ne fût tenté pour amener Grover Cleveland en tête du scrutin, mais beaucoup doutaient de son succès. S’il n’emportait pas l’élection au premier tour, ses forces se débanderaient d’autant plus promptement que l’effort aurait été plus puissant, et le Dark Horse, le vainqueur de la course, l’inconnu d’aujourd’hui et le chef de demain, hantait les rêves des délégués. Qui serait-il ? Quelle voix puissante et autorisée jetterait tout à coup son nom dans ce grand courant populaire qui fait et défait en quelques heures les fortunes politiques ? On avait vu, à Minneapolis, la convention républicaine abandonner dédaigneusement, après une tentative infructueuse, James Blaine, le chef acclamé, le stratège habile que l’on estimait seul capable de porter le drapeau du parti, l’homme auquel on attribuait la victoire d’Harrison en 1888 et qui, en 1884, avait tenu un moment l’élection indécise entre Cleveland et lui-même.

Puis l’on savait, à n’en pas douter, que l’Empire State, l’État de New-York, voterait en masse compacte contre Cleveland et porterait ses votes sur David B. Hill. Aucun autre État ne pèse d’un pareil poids dans la balance et, bien qu’insuffisante pour assurer l’élection de Hill, l’opposition de New-York pouvait mettre en sérieux échec l’élection de Cleveland, comme elle pouvait, par un brusque revirement au second tour de scrutin, donner à un candidat inconnu, au traditionnel Black Horse, un point d’appui et des chances capables de déjouer les plus habiles combinaisons. On murmurait les noms de Boies, Morrison, Campbell et Gorman