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jouir tant qu’il plaira à Sa Majesté ; qu’elle ne s’est pas dépouillée de son autorité, et qu’elle est toujours en état de connoitre dans son conseil de toutes sortes de différends… » Telle était l’antique théorie régalienne. De là à la terrible justice des commissions il n’y avait qu’un pas. On sait comment Richelieu le franchit.

Le conseil du roi a subi, dans la suite des âges, bien des métamorphoses. On peut considérer cependant que, sous le règne de Louis XIV, il avait reçu son organisation définitive. Cette organisation était d’ailleurs ce que furent la plupart des institutions de l’ancien régime, incohérente et disparate. Il est difficile de s’y orienter et de s’en rendre exactement compte. Si la révolution a follement sapé nombre d’établissemens qu’il fallait, au contraire, préserver à tout prix, elle a du moins donné à notre administration cette unité de plan, ces divisions logiques, précises, et, pour tout dire, cette belle symétrie, si agréable à la raison française, que les vieilles institutions, comme les vieilles bâtisses, n’ont presque jamais. Or rien de plus vague, de plus douteux, de plus flottant et mouvant que les cadres de l’ancien conseil[1]. Au fait, était-ce bien un seul et même conseil, ou une collection d’assemblées distinctes les unes des autres ? C’est là une question qu’il est plus aisé de poser que de résoudre. Je l’indique pour montrer combien cette organisation était nébuleuse. Quoi qu’il en soit, on y peut discerner quelques divisions essentielles. On distinguait d’abord le conseil d’Etat proprement dit, ou de cabinet, ou d’en haut, véritable conseil des ministres. Puis il y avait le conseil « des dépêches, » lequel, statuant sur les « dépêches » ou rapports des gouverneurs de provinces et des intendans, et sanctionnant les mesures auxquelles ces rapports donnaient lieu, correspondait assez exactement à la section de l’intérieur de notre conseil. Il y avait le conseil des finances, très important, avec ses dépendances, les « grande et petite directions ; » il comprenait dans ses attributions un vaste contentieux. Il y eut aussi un conseil du commerce. Il y avait enfin le conseil « privé » ou « des parties : » — c’était la cour de cassation et le tribunal des conflits tout ensemble, — avec ses règles compliquées, ses formalités, ses formules, ses procédures et ses écritures dont nous trouvons le détail dans un certain nombre de traités ou de formulaires techniques qui ont été publiés, dès le XVIIe siècle, sous ce titre caractéristique : le Style des Conseils du roi.

Mon dessein n’est pas de retracer en détail le fonctionnement de l’institution sous l’ancien régime. Il me suffit d’avoir mis en

  1. L’incertitude existe même quant à sa dénomination. Les contemporains disent tantôt : le conseil, et tantôt : les conseils.