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lumière ce fait capital que, dès les temps les plus lointains, il y avait eu un conseil d’État très semblable au nôtre, lequel en est l’héritier et le continuateur : la même institution, résultant de la nature des choses et de leur invariable nécessité, a existé à toutes les époques et s’est transformée seulement d’âge en âge. Je reconnais d’ailleurs qu’il y a entre les deux organismes, celui d’avant et celui d’après 1789, une différence fondamentale ; car il manquait au premier cette condition de la personnalité des êtres moraux, comme de tous les êtres, l’unité. « Les conseils du roi, » d’une essence indécise, ne nous apparaissent point unis en un faisceau. Nulle entente commune ; nulle réunion de leurs présidens formant un bureau ; nulle assemblée générale ou plénière, à jours fixes, comme aujourd’hui. Isolés les uns par rapport aux autres, les conseils du roi étaient, à cet égard, dans la situation des comités consultatifs établis près de nos ministères. Il y eut bien une tentative d’unification ; je veux parler du règlement très intéressant du 9 août 1789, qui établissait un « conseil d’État. » Mais que pouvait ce règlement, rendu in extremis, à l’heure même où tout s’écroulait ? En réalité, le conseil de l’ancien régime n’eut jamais une individualité ; il ne fut point un corps distinct de la royauté. Il se confond avec elle et en elle ; il en est l’ombre prolongée. De là vient que, ayant eu une part si grande dans l’œuvre nationale, il a presque échappé aux regards de nos historiens. Ils n’ont eu d’yeux que pour le parlement, dont la hautaine personnalité se détachait avec un relief précis sur la scène historique. Et puis ces hommes du parlement, avec leurs allures ambitieuses et théâtrales, ont fait illusion. Ils ont eu le beau et facile rôle que l’on obtient chez nous lorsqu’on fronde le pouvoir. Ils ont fait de la politique ; ils ont été l’opposition ! C’est pourquoi ils ont mérité l’applaudissement de la galerie. Au contraire, les sages et modestes conseillers du roi travaillaient sans bruit à créer la France. Aussi le monde, qui ne va guère qu’à ce qui luit et sonne, les a-t-il toujours ignorés.


II

L’assemblée constituante, là comme ailleurs, comme partout, fit table rase. Nul établissement ne trouvait grâce devant ces démolisseurs acharnés. Il s’agissait de détruire le gouvernement monarchique ; comment aurait-on respecté le conseil d’État, qui en était l’âme ? Il fut donc supprimé. On supprimait aussi les intendans. Que mit-on à la place ?

Le comité d’organisation judiciaire de l’assemblée constituante avait préparé un projet qui tendait à créer dans chaque département un « tribunal d’administration, » composé de cinq juges élus