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procéder à une répartition nouvelle des compétences. On se gardait de supprimer la juridiction administrative ; on voulait seulement détacher certaines catégories de litiges pour les transférer, ou mieux, les restituer à l’autorité judiciaire, qui en avait été, disait-on, indûment dessaisie. Au nombre des partisans de cette délicate réforme j’hésite à ranger M. le duc Victor de Broglie, qui, dans cette année 1828 où l’on s’occupa beaucoup du conseil d’État, consacrait au livre et aux idées de M. Macarel une étude écrite de main de maître, souvent citée depuis et, j’imagine, plus citée que lue[1]. Avec une vigueur d’analyse et une hauteur de vues singulières, le duc de Broglie pose le problème. Mais on ne voit pas bien comment il le résout, à quelle doctrine il se rattache, ni même s’il a, en ces matières, une doctrine positive et un programme nettement arrêté. Car, si d’un mot il fait justice du système qui livrerait aux magistrats de droit commun la censure des actes du gouvernement, il se prononce avec non moins de force contre l’existence du contentieux administratif tel qu’il est établi. Sa dialectique pressante en sape les fondemens ; puis, quand il n’a rien laissé debout, il nous quitte sans nous dire ce qu’il entend mettre à la place[2].

Des conclusions plus précises étaient présentées, vers le même temps, par une commission de la chambre des députés à l’occasion d’une proposition de M. Gaétan de La Rochefoucauld. La commission, par l’organe de son rapporteur, M. Hély d’Oissel, indiquait, comme susceptibles d’être rattachées à la juridiction civile, « les contestations en matière de domaines nationaux, les baux contractés et les marchés passés par l’administration, les liquidations de sommes dues par elle aux entrepreneurs et aux fournisseurs, ainsi que la connaissance des appels comme d’abus. » Cette nomenclature n’est point sans intérêt à l’heure présente où nous voyons reparaître après tant d’années la même question ; où de nouveau l’on cherche assez péniblement quelles branches d’affaires il serait possible d’élaguer dans la frondaison toujours plus touffue du contentieux administratif, et où cette question épineuse se pose, comme il y a soixante ans, devant les chambres et devant l’opinion.

L’initiative de M. de La Rochefoucauld n’obtint aucune suite. Les choses restèrent au même point. On ne fît rien ; en revanche, on disputa, on écrivit, on accumula les discours, les dissertations,

  1. Cet article, qui parut dans la Revue française, a été recueilli par le feu duc de Broglie, dans le tome Ier de ses Écrits et Discours.
  2. L’article, en effet, devait être suivi d’un second, qu’il annonçait et qui ne parut pas.