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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/804

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ministère…[1]. » Le mauvais pas était franchi. En pareil cas, il n’est plus sûr moyen que de nommer une commission. La réunion d’hommes distingués que M. Benjamin Constant présidait (ou était censé présider, car, dans le fait, il n’y vint guère) s’acquitta en perfection de sa tâche classique. Tout se passa selon les règles. Elle délibéra longuement, reprit les choses ab ovo, sonda tous les problèmes et rédigea un projet de loi monumental : il comprenait deux cent quarante-cinq articles ! Ajouterais-je que son œuvre eut le sort habituellement réservé à cette sorte d’élucubrations officielles et alla se perdre dans les cartons du ministère, qui naturellement l’y laissa ?

A la vérité, le gouvernement n’était point demeuré inactif. Tandis que la commission délibérait, il avait, par voie d’ordonnances, réalisé des réformes partielles qui répondaient aux vœux les plus raisonnables de l’opinion. Les ordonnances des 2 février et 12 mars 1831 donnaient aux justiciables les garanties si souvent réclamées : la publicité des audiences, la défense orale, le ministère public, et décidément excluaient du délibéré, en matière contentieuse, les conseillers du service extraordinaire, représentans plus ou moins suspects de l’administration. Garanties capitales : le conseil devenait réellement une cour de justice.

Mais il restait encore deux réformes à accomplir ou au moins deux questions à trancher.

La première se posait ainsi : les juges administratifs du conseil d’État seraient-ils inamovibles comme les juges civils ? Ou les maintiendrait-on dans la condition dépendante et précaire d’agens révocables ad nutum ? — L’autre question mettait en cause une prérogative séculaire de la couronne. Il s’agissait de savoir si la juridiction du conseil serait « retenue » ou « déléguée. » Or, dans le système de la justice retenue, le conseil statuant au contentieux ne prononçait pas les jugemens, il les préparait. Ses décisions n’étaient proprement que des avis ; simples consultations données au gouvernement, qui, à la rigueur, pouvait n’en tenir nul compte et y substituer des solutions contraires. En fait, il était à peu près sans exemple que, sous aucun régime, le gouvernement eût osé assumer une responsabilité aussi grave : invariablement il se bornait à homologuer les décisions proposées. Elles n’en étaient pas moins nulles au regard des parties tant que le souverain ne les avait pas revêtues de sa sanction et promulguées en forme d’ordonnances, leur conférant l’autorité d’arrêts

  1. Rapport au roi précédant l’ordonnance du 20 août 1830, qui institua la commission.