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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/822

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certain éclat, de celui qu’on regardait alors comme son inspirateur, et de revendiquer, non sans un accent hautain, sa propre originalité. L’Appendix qui termine le volume est effectivement un véritable manifeste, et le tout se trouve en toutes lettres signé de son nom : Benedictus de Spinoza Amstelodamensis. Ce furent également ses amis qui, vraisemblablement, le secondèrent dans la publication qu’il fit lui-même, en 1670, de son Tractatus theologico-politicus, mais en cherchant, cette fois, par les précautions les plus minutieuses, quoique les plus illusoires, à en garantir l’anonymat[1]. Ce qui n’est pas douteux, c’est que ce furent eux qui se chargèrent, et sans doute à leurs dépens, d’éditer ses œuvres posthumes.

Nous savions par Colerus, qui le tenait de Spyck lui-même, que celui-ci, sur l’ordre que lui en avait laissé Spinoza, avait immédiatement après son décès envoyé à Amsterdam, à Jean Rieuwerts, imprimeur de la ville, un pupitre où étaient renfermés les papiers du défunt. Dans une lettre adressée le 25 mars 1677 à Spyck, Rieuwerts reconnaît avoir reçu le pupitre en question, et, en terminant, ajoute « que les parens de Spinoza voudraient bien savoir à qui il avait été adressé, parce qu’ils s’imaginaient qu’il était plein d’argent, et qu’ils ne manqueraient pas de s’en informer aux bateliers à qui il avait été confié. Mais, dit-il, si l’on ne tient pas à La Haye registre des paquets qu’on envoie ici par le bateau, je ne vois pas comment ils pourront être éclairés, et il vaut mieux en effet qu’ils n’en sachent rien. »

Rieuwerts, qui déjà, en 1663, avait imprimé le premier ouvrage de Spinoza, fut aussi probablement l’éditeur des œuvres posthumes qui parurent en 1677, sans nom de lieu ni d’imprimeur, et avec les simples initiales B. D. S., initiales que l’on retrouve entourant une pensée sur le cachet même de Spinoza, où se lit cette expressive et caractéristique devise : caute, prudemment. Elles étaient précédées d’une préface qu’avait rédigée en hollandais un des plus zélés disciples de Spinoza, Jarig Jellis, et que Louis Meyer avait traduite en latin. Outre deux traités demeurés inachevés : le Tractatus polilicus et le de Emendatione intellectus, et en même temps qu’un Abrégé de grammaire hébraïque et des lettres malheureusement trop peu nombreuses, elles comprenaient ce fameux livre de l’Éthique, terminé déjà depuis plus de cinq années, où l’auteur avait exposé à la manière des géomètres sa doctrine définitive, mais qu’il n’avait osé produire au grand jour. Car les

  1. Ce traité, sans nom d’auteur, porte la mention : Hamburgi, apud Henricum Kunrath, quoiqu’il eût été imprimé à Amsterdam, et, selon toute apparence, par Rieuwerts.