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LA PHILOSOPHIE
D'ELISABETH BROWNING

Elisabeth Barrett Browning, Aurora Leigh, traduit de l’anglais ; Albert Savine.

Voici tantôt une quarantaine d’années que ce beau poème d’Aurora Leigh a paru. En voici à peu près autant que M. Emile Montégut lui consacrait, ici même, une pénétrante et éloquente étude. Si nous y revenons aujourd’hui, — à l’occasion d’une traduction française malheureusement assez médiocre, mais qui n’en a pas moins trouvé, depuis deux ou trois ans qu’elle a paru, des lecteurs, — c’est d’abord que l’œuvre, si admirable soit-elle, est encore bien peu connue en France ; c’est ensuite qu’elle est de celles dont il est toujours permis de reparler, et qui sont si riches en aperçus, en vues ingénieuses et fortes, en beautés de tout genre, qu’on peut, sans présomption, espérer y glaner encore et presque sans fin. Mais c’est surtout que, parmi les poètes étrangers, il n’y en a pas qui soit plus près de nous et de nos préoccupations actuelles, que cette Elisabeth Browning, — dont on peut dire sans crainte qu’elle est le poète le plus philosophe de notre époque, en même temps que l’un des plus exquis et des plus rares par le talent. Vraiment, à le relire, son poème semble d’hier, tant les questions y sont envisagées d’un point de vue tout contemporain, tant l’œuvre, à la prendre dans son ensemble, est une confession du siècle, tant cette âme « généreuse, héroïque, passionnée, » comme l’appelait jadis M. Taine, — cette âme « toute moderne par