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voyage aérien s’exécutera sans risques particuliers, et qu’on ne verra jamais se produire une catastrophe comme celle du pont de la Tay, qui, tout à coup rompu par la tempête, ouvrit un béant abîme devant un train de voyageurs qui s’y précipita tout entier.

Les ponts américains du Niagara et de Saint-Louis, merveilleux, si on les compare à ceux d’il y a un demi-siècle seulement, sont, comme hardiesse, de beaucoup en arrière du pont sur la Manche. Mais à Brooklyn un tablier de près de 500 mètres de portée est suspendu à des câbles métalliques rattachés à des piles de 85 mètres de haut, et le pont projeté sur l’Hudson pour la voie ferrée de New-York à Nevr-Jersey doit être formé d’une seule travée de 872 mètres de long, située à 140 mètres au-dessus des plus hautes marées. Le pont sur le Forth, inauguré, il y a deux ans à peine, est encore celui qui présente le plus d’analogies avec le projet dont nous nous occupons. Sa réussite, l’admiration très justifiée qu’il excite, n’ont pas été étrangères au redoublement d’ardeur que manifestent aujourd’hui les promoteurs du pont sur la Manche.

Une difficulté spéciale, qui ne s’est pas rencontrée au même degré dans la construction de ces grands ouvrages, doit se rencontrer sur la Manche. Les poutres droites du pont projeté ne peuvent pas se monter sur place, pièce par pièce, comme on a fait au Forth, et avant à Garabit, les parties déjà construites servant progressivement d’échafaudages pour la mise en place des autres élémens. Il faudra construire ces travées tout d’une pièce sur le rivage, et on a déjà désigné la plage d’Ambleteuse, sur la rive française, pour devenir ce vaste atelier de montage. Une fois construite, chaque travée sera chargée sur un système de trois pontons, amenée au-dessous de la position qu’elle doit occuper, puis soulevée et mise en place au moyen d’énormes presses hydrauliques. Ce ne sera pas une mince besogne que le maniement de ces masses colossales d’une forme peu commode. Il faudra, en outre, ici comme pour la pose des piles, compter beaucoup sur la bienveillance des flots. Les difficultés seront grandes. Mais en matière de travaux, nous avons tant vu de choses extraordinaires, que nous pouvons bien admettre qu’impossible n’est plus français. D’ailleurs, ceux qui en France ont rédigé le projet, et ceux qui en Angleterre, comme sir John Fowler, et M. Baker, les grands ingénieurs du Forth, en ont approuvé les dispositions techniques, tiennent le premier rang parmi les gens du métier. Ils réclament une confiance que les éclatans succès de leurs précédentes entreprises paraissent justifier. Ne cherchons donc pas davantage à troubler leur foi en leur œuvre, par des critiques qu’ils traiteraient de vaines appréhensions.

Il n’en reste pas moins que l’exécution du tunnel semble une