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et une bonne chaleur bien sèche, pour disposer le voyageur aux longues chevauchées à travers la steppe, aux dures fatigues des longues routes que l’on supporte joyeusement.

Le fleuve est là, tout près, un grand fleuve à l’eau jaune, coulant entre des rives basses.

L’Amou-Daria, ou plutôt l’Amou (car Daria veut dire fleuve), s’étend large comme un bras de mer, roulant ses eaux avec un bruit sourd entre des rives argileuses qu’il ronge sans cesse, et son eau s’épand dans ce large lit entre des îles basses, couvertes de roseaux et de tiges frêles de réglisses. Un peu en aval du pont du chemin de fer quelques barques grossières sont amarrées.

Ces barques, remontant et descendant le fleuve, sont aujourd’hui le plus rapide moyen de locomotion et le moins fatigant pour atteindre le Kharezm. Elles ne sont ni jolies, ni confortables, ces barques en bois à demi équarries, où l’abri contre le soleil consistera en un feutre tendu sur des piquets. Mais quatre cents verstes à parcourir, ce n’est point long, et s’il faut en croire les vieux auteurs, le Kharezm est un pays riche et fertile.

On nomme Kharezm les pays situés dans le bassin inférieur de l’Amou comprenant les oasis khiviennes, le delta de l’Amou et les steppes environnantes, sans qu’il soit possible de déterminer par une limite quelconque les frontières de ce pays. C’est sur un de ces bateaux primitifs que je m’embarque avec quelques provisions. « Vous pourrez acheter des poulets et des moutons dans les villages, » me dit-on, et je m’installe tant bien que mal. Avec de la patience on arrive toujours. Eh bien soit, on pourra contempler à loisir les paysages du fleuve. Sans doute, j’étais prévenu qu’il fallait de la patience, mais je ne me doutais point qu’il en fallût autant. Car, souvent, les bateliers, se reposant de leurs peines futures, laissent flotter la barque comme un bouchon, sans faire usage des rames ; ils tâchent de suivre le courant dans ses courbes changeantes. Et lentement, lentement, on descend le fleuve. Parfois de grands remous, comme si d’immenses poissons s’agitaient sous l’eau, rejettent brusquement l’esquif de côté. Alors les hommes font force de rames, et celui qui tient à l’arrière la grande rame servant de gouvernail, criant et geignant plus fort que les autres, ils remettent la barque dans la direction primitive. Mais tout à coup on stoppe, la barque a touché un banc de sable. On quitte les rames, et les hommes, saisissant piques et gaffes, s’efforcent de remettre la machine à flot. Peine inutile, efforts superflus, l’esquif tient bon. Alors les bateliers, ne gardant que leur khalat (vêtement indigène), se mettent à l’eau, et s’arc-boutant du dos ou de l’épaule sur la barque, la poussent dans le courant. Au bout