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lumière en émanait, majestueuse comme une divinité du grand fleuve.

On s’arrête sur une rive basse garnie d’arbustes, de peupliers, de trembles, de tamaris, de buissons épineux. Sur la terre, pas une herbe ; de nombreux pas de bestiaux, et pendant que les hommes ramassent du bois dans la barque pour le vendre dans les villages d’aval et font la soupe, je pars au hasard avec le fusil. Le soleil disparaît dans une grande teinte rouge, les feuilles, à l’extrémité des branches, se dessinent noires sur le ciel rouge… Je marche au hasard en m’éloignant du fleuve. Tantôt ce sont des fourrés, des broussailles, tantôt des massifs de grands roseaux aux feuilles longues, étroites, retombant en courbes molles, et les hampes des fleurs passées se dressent au milieu, jaunes, sèches, toutes droites, immobiles dans l’air calme.

Plus loin, des champs en friche, quelques traces de fossés montrant le sol nu, sec, avec çà et là quelques tamaris, quelques touffes de roseaux, et l’on marche lentement, enveloppé d’une lumière pure, dans l’air calme. À cette première heure du crépuscule, aucune ombre ne ternit le sol. Vous allez sans que votre passage intercepte la lumière, dérange l’harmonie des tons, le calme des lignes, et l’incarnat du ciel se change en or pâle, et lentement, lentement, par des gradations infinies, la lumière diminue, les couleurs se modifient.

Et les journées passent lentes et monotones, le courant nous entraîne au nord. Aussi, pendant que la barque s’avance vers Pétro-Alexandrof, décrivons la route de terre parcourue au retour. Triste route, aux longues étapes à travers la steppe, mais fort intéressante cependant, puisqu’elle permet de se rendre mieux compte du fleuve et du pays.

En quittant Tchardjoui, la route pique droit au Nord, dans une direction parallèle à celle du fleuve, à travers un pays cultivé. C’est l’oasis de Tchardjoui. Champs de coton, de luzerne, cultures de blé, de riz se succèdent sans interruption. Çà et là, la route coupe des villages, ou plutôt des hameaux suivant les poteaux du télégraphe allant à Pétro-Alexandrof.

Dinaô, bourg assez important à soixante-cinq verstes de Tchardjoui, résidence d’un administrateur bokhariote. Le bazar est moins important que celui de Tchardjoui. Le pays est moins cultivé. De grands espaces incultes apparaissent, le sel affleure en quelques endroits, des collines de sable enserrent l’oasis à l’ouest. On est en plein pays turkmène et, l’été, beaucoup vivent dans la steppe avec leurs troupeaux.

Cette oasis de Tchardjoui reçoit l’eau du fleuve au moyen de